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d’action. Saint Césaire d’Arles exerçait sur toutes les provinces de la vie religieuse et ecclésiastique son puissant magistère ; il donnait aux moines des règles écrites : près de deux cents monastères nouveaux se fondaient en Gaule au VIe siècle. Un âpre moine irlandais, saint Colomban, venait prêcher une réforme dont la règle bénédictine recueillait les heureux résultats. Menacée au dehors par l’Islam, l’Eglise franque était sauvée par Charles Martel ; menacée au dedans par la dissolution des mœurs et par les convoitises laïques, elle était sauvée par un moine anglo-saxon, l’apôtre de la Germanie, saint Boniface, qui, rendant à la France ce que la France, jadis, avait généreusement donné à son pays, préparait les glorieuses destinées et la politique religieuse d’une dynastie nouvelle.

Cette dynastie nouvelle, celle des Carolingiens, par la puissante personnalité de Charlemagne, a mis sur l’institution catholique une empreinte ineffaçable. Reconnu et consacré par elle, le grand empereur s’est considéré comme le collaborateur le plus actif et le plus dévoué de la papauté, et il a mis au service de Rome, avec sa force matérielle, son génie d’organisation, son universalité d’aptitudes, même théologiques, sa ferveur d’apostolat. Mais après lui, la décadence vint vite, et, en dépit des efforts et des heureuses initiatives d’Hincmar, archevêque de Reims, l’Église du Xe siècle, de plus en plus soumise aux influences et tyrannies féodales, semble sur le point de sombrer dans la servitude. Une institution française la sauva. Ce fut Cluny.

Capitale monastique de la France et, bientôt, de tout l’Occident, Cluny répandit peu à peu son esprit dans la chrétienté tout entière. Il s’agissait de rendre à une Église divisée, simoniaque, asservie aux puissances laïques, son unité, sa pureté, son indépendance. Gerbert, pape sous le nom de Sylvestre II, Hildebrand, pape sous le nom de Grégoire VII, se vouèrent à cette œuvre réparatrice. Dans ce monde à demi barbare, et qui ne connaissait que la force, l’Église, à mesure qu’elle reprenait conscience de sa souveraineté, jouait de plus en plus un rôle de pacification moralisatrice : elle imposait un frein à la force brutale ou la dérivait vers les œuvres de civilisation générale ; elle instituait la trêve de Dieu, la chevalerie, dirigeait l’élan des croisades. C’est en France que sa voix trouvait le plus d’échos, et le livre que Guibert, abbé de Nogent-sous-Coucy, au début du XIIe siècle, intitulait Gesta Dei per Francos, en face de l’Allemagne, qui