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assurées qui éprouvent le besoin de travestir la vérité des faits pour se donner trop facilement raison ; les croyances vigoureuses au contraire regardent les réalités face à face, et elles sont patientes parce qu’elles ont l’éternité devant elles ; elles savent distinguer, même dans les pires erreurs, « l’âme de vérité » que presque toujours celles-ci renferment, le principe d’idéalisme et de spiritualité dont, bien souvent, ces erreurs ne sont qu’une déviation ; au besoin, car il y a une leçon à tirer de toute expérience historique, elles font leur profit personnel de ces fâcheux écarts de la conscience errante. Et c’est ainsi que l’historien de la France religieuse ne nous a rien dissimulé des fautes ou des crimes que ses coreligionnaires ont pu commettre à travers les âges. Le tableau qu’il nous dresse des excès, des désordres, des lamentables défaillances doctrinales et morales qui expliquent et qui, dans une large mesure, légitiment la Réforme, ne le cède en vérité et en âpre sévérité à aucun de ceux qui nous ont été tracés par les écrivains protestants ou libres penseurs. Et pareillement, nul n’a condamné avec plus de vigueur la révocation de l’édit de Nantes, « cette maladresse, cette illusion, cette cruauté suprême, » et l’« atroce » répression exercée contre les malheureux huguenots qui avaient voulu rester fidèles à leurs croyances. « J’adore avec vous les desseins de Dieu, qui a voulu purger la France de ces monstres, » écrivait Bossuet à Nicole en 1691. « Ferry, Claude, étaient-ce des monstres, naguère, pour Bossuet ? » observe à ce propos avec une douce fermeté M. Georges Goyau. Dans son fervent désir d’être impartial à l’égard de toutes les formes de la vie spirituelle, il rend généreusement hommage aux intentions des apôtres de la Réforme, aux besoins mystiques et moraux auxquels ils donnaient satisfaction. Chose curieuse, cet historien d’une impeccable orthodoxie est peut-être plus parfaitement équitable aux protestants qu’il n’est sympathique aux jansénistes, — même aux jansénistes du XVIIe siècle, — et aux gallicans. Peut-être aurais-je parlé des gallicans, et surtout des premiers jansénistes, avec une plus complète indulgence et leur aurais-je appliqué plus largement la célèbre et profonde devise Oportet hæreses esse. Mais ce n’est là qu’une nuance ; et même si cette réserve paraît justifiée, elle n’entame en rien le rare esprit de haute impartialité dont témoigne, à l’égard des hommes et des doctrines, l’Histoire religieuse de la France.