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les hommes et les faits qui ont préparé leur venue ou qui ont prolongé leur influence ; que leur succession détermine la succession même de nos chapitres ; que la signification de leur œuvre nous éclaire sur celle des événements dont ils sont en quelque sorte la cause finale ; qu’elle nous aide à choisir, à grouper, à relier, à éliminer surtout, parmi les innombrables détails qui se présentent à nous. Et ainsi nous obtiendrons une « suite » d’histoire, dont les grandes masses se dessineront d’elles-mêmes, dont les « époques » seront clairement distribuées, et dont la vigoureuse cohésion enfin reproduira la logique secrète, le mouvement même et l’allure de la vie.

Il y a une certaine école d’historiens qui, sous prétexte de probité, soi-disant « scientifique, » — comme si l’histoire était une science ! — impose à ses adeptes le mépris du style, l’horreur du talent littéraire et l’obligation d’être parfaitement illisibles. M. Goyau n’est pas de cette école. Il sait écrire, et il a un style, — un style parfois trop condensé et trop ingénieux, un peu précieux même, tantôt par goût de la précision, et tantôt en souvenir de son cher Sénèque, — mais un style. Et les belles pages, fines, robustes, éloquentes, brillantes même abondent dans son nouveau livre, plus peut-être que dans aucun de ses quarante volumes antérieurs.

Et ce livre d’un véritable écrivain est aussi l’œuvre d’un étonnant érudit. On pourrait être un peu effrayé de la somme de lectures qu’il suppose et qu’il utilise. C’est littéralement toute une vie intellectuelle, extrêmement active, qui est venue se fondre dans ces six cents pages, et si M. Goyau, pour se conformer à l’esprit de la collection à laquelle il collaborait, — ce qui, en un certain sens, est peut-être regrettable, — ne s’était pas interdit toute espèce de note et d’appareil bibliographique, s’il avait produit toutes ses sources, j’imagine qu’il eût aisément doublé les dimensions de son travail. Manifestement, il s’est proposé d’opérer dans son livre la synthèse des innombrables études de détail et d’ensemble qui, depuis qu’il y a des érudits, et qui écrivent, se sont accumulées sur telle ou telle période, tel ou tel point particulier de l’histoire religieuse de la France, et il y a excellemment réussi. Non seulement son Histoire est au courant des derniers travaux publiés sur toutes les questions qu’elle traite ou qu’elle soulève ; mais encore on peut dire qu’en écrivant son livre, il a fait œuvre tout à fait nouvelle.