Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/840

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Sud-Est, une grève sans fin, l’immense courbe que développe au pied d’un pays montant la baie d’Audierne. Une déchirure dut se faire par là, au bas des rideaux de vapeurs, car une traînée blanche, une lueur frisante, s’allongea tout d’un coup, de biais, à l’horizon, révélant un semis noir sous un petit jalon noir : toutes les roches de Penmarc’h, gardées là-bas, à ce tournant de la Bretagne, par le grand phare d’Eckmühl.

Une bien triste côte, monotone, sans abri, et que l’on connaît pour toujours quand, venant du Sud, vent debout, on a mis près d’une journée, de bord en bord, à la dévider, depuis le Menhir jusqu’à l’entrée d’Audierne, à en amener successivement, de Kerity à la chapelle de Tronoën (lointaine, perdue dans les sables), de Plovan à Penhors, à Plouzevet, à Plouhinec, chaque « marque, » chaque clocher, moulin, au long de l’interminable pays jaunâtre.

Dom an dro !... Vira ! Un coup de barre du patron, et tout cela passe par l’arrière. L’estuaire reparaît, mais lointain, déjà, et l’on s’en va chercher l’Ervilly, qui ferme la baie au Nord-Ouest : une basse, triste pointe, où rien ne se lève qu’un grêle sémaphore, parmi des lignes ou des champs de pierres. Alors nous sommes vraiment dehors, et tout de suite la côte de Prémelin s’ouvre : le commencement du pays capiste, la première articulation du long bras qui s’en va finir devant le Raz de Sein ; quelque chose comme son épaule, large, oblique et fauve, sur une mer obscure que la brise commence à pousser.

Je regardais cette terre, y cherchant ce que souvent j’étais revenu voir de la route : les innombrables murets de pierres brutes, enfermant de petits chaumes, des carrés de lande sauvage, parfois un calvaire, un menhir à côté d’une masure ; les chapelles, les hameaux où de vieilles femmes qui rappellent les paysannes de Louis XIV (guimpes et cornettes de toile bise, cottes et corselets de bure), étirent au pas de leurs portes la laine d’un fuseau. Je n’avais pas besoin qu’on me dît les noms, mais les deux marchands de pommes, toujours très excités, s’entêtaient, en m’offrant des prises de tabac, à me les répéter. Une chose surtout les stimulait, extraordinaire, difficile à comprendre, à tout un verbiage d’explications : dans l’anse du Loc’h, des maisons qui sont à Prémelin viennent toucher celles de Plogoff. Une telle confusion choquait leur sentiment breton des clans, des paroisses et « pays » distincts.