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Sortie rapide dans le chenal. En deux bords, le bout de la digue, qu’il faut aller ranger sous le phare, dans l’étroit espace que laisse la barre, — la barre de sable, si longue, changeante, si dangereuse quand la mer est « poussée, » comme ils disent ici, c’est-à-dire quand la lame y arrive en moins de quatre minutes après avoir brisé sur la basse Barzic. Mais la houle est lente, bien rythmée ; c’est à peine si elle frise et blanchit un peu en passant sur le danger.

C’est là qu’elle nous a pris, la longue pulsation de l’Atlantique. La mine du patron s’est éclaircie quand il a vu la basse.

— Nous aurons belle mer si les vents n’arrivent pas, dans le Raz, à la partie Nord. Mais comme elle leuve dehors ! comme elle a senti le Suroit !

Il avait pris la barre, jetant ses commandements bretons aux deux gars chargés des écoutes, et cap au Sud-Est, entre Barzic et Pouldu, il sortait tout droit par la passe de mauvais temps.

Presque tout de suite, la côte, à l’Est, s’est démasquée : trois maigres dos de pays, tombant l’un derrière l’autre ; trois promontoires dont la jaune pelure accuse le dur modelé du granit intérieur. Tout en haut, sur le ciel, une ribambelle de petits pignons à la débandade, — tous les toits blanchis de ciment pour tenir contre les vents du large. Et plus loin, deux moulins qui s’isolent, dont les ailes virent, virent... Tout cela demi-brouillé dans une longue fumée de goémon qui monte de la grève, tout cela un peu étrange, animé, dirait-on, d’une vie secrète, comme si les moulins tournaient d’eux-mêmes, perpétuellement, et ne tournaient pour personne, comme si les yeux de ces logis n’étaient là que pour surveiller les lointains de la mer, en recevoir et leur donner des signes...

Plouhinec, Plozevet : des pays que je ne connaissais pas encore, où les petits toits se sont mis étrangement à proliférer depuis, comme dans la désolation de Penmarc’h, — je crois même qu’un petit chemin de fer y passe aujourd’hui. Mais alors, on se demandait ce que cela faisait là, au-dessus de l’Atlantique, sur cette dernière côte inanimée, qui maintenant finissait de s’effacer dans une frange de pluie venue du large.

Vie mystérieuse, si changeante, de ces paysages de la mer... Cinq minutes plus tard, le grain passant, tout se découvrait dans une limpidité sombre ; le grand cercle étendu loin, précis, couleur d’étain, sous une tenture d’orage, — et, fuyant dans