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Ils étaient là entre eux, par clans distincts, du même peuple ancien, comme les aïeux qui ne communiquaient pas avec la France. Pas un visage du mobile type moderne, pas un costume de notre temps. Il n’y avait pas même de clergé. Et nulle discordance du paysage. Autour de cette assemblée bretonne apparue dans le soir, aux longs rayons d’Occident, près d’une grève d’Occident, rien que des choses bretonnes : la chapelle basse, sa pauvre aiguille rouillée, le petit peuple d’arbres frères, dont les têtes liées semblent fuir toujours le tourment du vent, — le doué sacré dans l’ombre, au plus creux du ravin. Par derrière, la dune montait, obscure sur la clarté de l’Ouest ; la mystérieuse, limpide clarté qui, le soir, derrière un des prochain de lande, annonce les grands miroirs voisins, et semble la lumière même de l’au-delà.

Quelques pas sur le talus d’herbe et de sable, et la mer apparaissait, froide, glacée de bleu et de lilas sous un ciel que le soleil avait quitté. Au loin, la procession des côtes, toute l’ample et profonde concavité du grand golfe...

Et cette plage non plus n’était pas vide. Des troupes de pèlerins arrivaient encore, cheminant sur le miroir des sables, au long des mouvants degrés d’écume, des nappes mauves et roses, des grandes nappes soudain déployées de reflets crépusculaires. Même, au petit promontoire qui ferme au Sud cette grève, une chaloupe s’apprêtait à débarquer du monde. Elle était chargée de femmes, toutes debout, serrées à l’avant sous leurs sombres coeffes ailées. On avait le sentiment d’un rite : une théorie religieuse portée par une barque sacrée, comme dans les pompes hiératiques de certains peuples anciens. On pouvait rêver des temps légendaires de la Gaule, des prêtresses de Sein débarquant en silence sur la grande terre pour un culte mystérieux.


...Dernières images du même soir lointain. C’était un peu plus tard ; je revenais par le ravin, quand je perçus un remuement singulier, au fond du creux déjà nocturne. Là s’ouvrait le pâle rectangle du doué. Des femmes en couvraient la margelle, et l’emplissaient à demi, masses confuses de couleur, comme de grands bouquets vivants tombés dans ce trou d’ombre. On trempait des bols dans l’eau divine ; on la buvait avidement, on la faisait boire aux enfants. De vieilles fées, robe troussée, barbotaient