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notre temps, notre monde, mélangeant de leur présence l’essence bretonne, antique, de cette assemblée. De Sainte-Anne de la Palud, je garde un souvenir plus bref, plus pur, et tout à part : celui d’un soir d’été, veille du Pardon, où j’étais venu de Loc-Ronan, ne cherchant près de Sainte-Anne que sa grève.


Après une chaude après-midi d’août, je trouvai le grand apaisement vespéral, mais non la solitude. Il y avait déjà de petites bâches vertes sur le pré d’herbe fine, et, dans les derniers rayons du jour, des groupes de couleur insolite. Des femmes, surtout, vêtues de bleu, de vert et de violet. — le vert intense, le bleu sombre, le violet profond de la mer : la plus rare et froide harmonie, sous des guimpes de toile glacée et d’étonnantes mitres qu’on eût prises pour des sacs de papier blanc. Froideur aussi des figures : larges faces, un peu mongoles comme celles des bigouden, par un certain retroussis des yeux, par le rebond des joues sous la bride qui les serre, — mais bien plus claires, septentrionales. Des yeux, une chair où la vie semblait dormir. Au milieu d’elles, quelques fillettes déjà grandes n’étaient pas plus placidement enfantines, ni leur costume plus étranger à notre temps. Bas corselet de toile blanche, lacé par devant, jupe coquelicot, grave, tombant jusqu’aux pieds, bonnet de bébé, enluminé de vert et de vermillon, d’où coule un flot de libres cheveux : elles avaient l’air de poupées russes. Les hommes portaient des vestes et soubrevestes du même bleu riche que les femmes, mais bordées de blanc ; galons blancs, blancs boutons, en sequins.

C’étaient des familles de Plougastel. Pères, mères, enfants, ils se tenaient et se mouvaient ensemble, avec une gaucherie lente. Il y avait d’autres groupes, de parures diverses, où le noir dominait, des gens qui devaient être de Landerneau, ou bien de Logonna, du Faou, de Daoulas, des petits pays les plus cachés de la Bretagne, gites de pêcheurs, aux replis secrets de la rade de Brest. Ils étaient venus par le Menez Hom, et puis la Lieue de Grève, après avoir, comme ceux de Piougastel, traversé l’arrière-rade dans leurs chaloupes. D’autres, moins nombreux, avaient dû mener leur navigation à travers la baie, débarquer tout au fond de sa grande courbe, aux abords du lieu bénit. Un groupe de femmes, en capes noires de l’île de Sein, parut en haut de la dune, et s’agenouilla à la vue de la chapelle.