Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dorée, — qui me parait toujours flotter sur cet hémicycle de côtes et de campagnes.

Et puis je n’y suis guère revenu qu’en des jours religieux, ceux du pardon de Ploaré, de la Troménie, de sainte Anne de la Palud...


Sainte-Anne de la Palud, la solitaire chapelle, là-bas, tout près d’une plage de la grande baie, sous le noir quinconce rebroussé qui lui tient compagnie dans ses longues attentes...

Aujourd’hui, son Pardon ne m’attire plus guère. C’est plutôt le pardon des automobiles. On ne les connaissait pas, quand elle m’apparut pour la première fois, il y a si longtemps, dans l’animation du grand jour, à l’orée du chemin creux qui conduit à sa lande. Dès le tournant de la grand’route, à une demi-lieue de distance, des rangs d’aveugles, stropiats, avec leurs chiens, au long des deux talus, s’étaient montrés, annonçant l’assemblée ; — et puis, dans le ciel, par-dessus une grande feuillée oblique, le drapeau tricolore claquant à la pointe d’une aiguille rouillée.

Bien surprenant, tout de même, ce qui se découvrait là tout d’un coup : ce fourmillement d’humanité bretonne en un petit point du grand pays désert, traversé, cahin-caha, depuis Châteaulin. Cela fluait, s’épaississait autour de l’oratoire, cela semblait sourdre de son pied, et, par cercles mouvants, s’en épancher jusque sur le sable de la dune. Joyeuses volées de cloches, là-haut : on croyait sentir passer leur aérien battement, et c’était par .dessus le cercle des humains, comme d’autres cercles, palpitants, sonores, invisibles, élargis dans les vastes silences de la mer et de la campagne.

A divers moments de ma vie, — parfois à de longs intervalles, — j’ai revu tout cela. C’était toujours la même journée qui revenait, ramenant au pied de l’immobile Sainte les mêmes scènes, la même foule, dont les individus imperceptiblement changent : sans doute, ils ont presque tous changé depuis un tiers de siècle... De mes visites anciennes à Sainte-Anne, le jour de sa fête, les souvenirs se mêlent, se fondent en quelques images qui sont de toutes les années.

Il en est une qui renaît d’abord, où se concentre l’essentiel d’un tel jour. Poussée multicolore de pèlerins (tous les costumes de Bretagne sont là), dans l’ombre et les lumières de