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le Nord, dans l’Est, les deux montagnes, les deux pâles sommets ont aussi leurs sanctuaires.

Une terre comme bénite : les saints, d’ailleurs, y ont laissé partout leur nom et leur parfum : Saint Ronan à Loc Ronan, dont son corps sanctifia la montagne (à la place où s’arrêtèrent obstinément les bœufs qui portaient son cercueil) ; saint Corentin au bois de Nevet, en Plomodiern, où il se nourrissait et fêtait le roi Grallon d’une simple et monotone chère : la moitié d’un petit poisson dont la queue repoussait tous les jours ; sainte Anne en son oratoire de la Palud, au revers de la dune herbeuse où elle aborda, venant de Palestine ; sainte Marie à Sainte-Marie du Menez Hom, au flanc de la montagne dont le grand saint Guénolé, en son abbaye de Landevennec, au premier repli de l’Aulne marine, habitait l’autre pied. C’est lui qui sauva le roi Grallon, dans la nuit où s’engloutit la ville d’Is : on vend encore dans les Pardons l’image de leur chevauchée d’épouvante devant le galop des vagues. La ville d’Is, elle est là quelque part, dans ce fond du golfe où de vieux chemins s’en vont mystérieusement tomber dans la mer : on dit même que les pêcheurs l’aperçoivent parfois dans la transparence marine. Et le roi Grallon, peut-être repose-t-il encore dans la terre du moustier ruiné, à Landevennec, parmi les bienheureux qui l’y ont suivi, — saint Guennaël, saint Conogan, saint Morbret, saint Idunet, saint Rick, saint Déi, tant d’autres qui ne sont que du calendrier breton...

Au loin, dans le Nord-Ouest, où le cap de la Chèvre, fermant à demi la baie de son grand crochet, s’embrume et tourne au fantôme, un tumulus de pierre signale encore la tombe d’un fils de Grallon, le roi Rivoualen, qui donna des lois aux hommes de Crozon. Là-bas commence la mer de l’Iroise, dont je n’ai compris le nom qu’en traversant, près du Goulet de Brest, qui l’avoisine, le bourg de Plouzané (Plou Sané), un jour que j’avais lu dans la Vie des Saints que saint Sané est venu d’Irlande, amenant des Irois.

Et c’est dans un couvent de ce même pays de Crozon qu’une abbesse écrivait cette pieuse Istor Breiz (Histoire de Bretagne) dont une vieille bonne, à Brest, nous tirait, il y a si longtemps, des récits de ces choses, à l’aube miraculeuse de la Bretagne, quand les saints voguaient sur des rochers. De ce souvenir lointain, peut-être, nait le rayon singulier, — un rayon de légende