Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/800

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Condorcet, Janson, Louis-le-Grand à la presque unanimité) professent pour le gouvernement de la République les sentiments que le fils de Thénardier professait pour le gouvernement de Charles X. Et ils ne le lui envoient pas dire. Les nouveaux Gavroches conspuent la police, ce qui est la loi essentielle ; mais ils saluent les curés depuis qu’ils sentent la police contre les curés. En ce moment, les lycéens complotent de monter en colonne d’assaut à Montmartre, pour y déboulonner la statue de l’infortuné chevalier de la Barre : histoire d’embêter les apaches, ces frères naturels qui sont des frères ennemis, puisqu’ils sont avec le gouvernement. Voilà toute la philosophie de ces défenseurs de la Foi. « C’est l’âme de la vieille Gaule, » assurait le père Hugo. Réjouissons-nous donc de cette combativité : elle fera de ces enfants, pour la plus grande stupeur de MM. Jaurès et Hervé, de magnifiques soldats. D’après tout ce que je puis observer, nulle génération de petits Gaulois n’a été plus belliqueuse, plus froidement enragée pour les actions guerrières.

Mais il faut penser autrement, quand on n’a plus dix-sept ans, et donner raison au sage lyonnais [1]. Ce tapage est idiot, j’en conviens avec lui, avec vous. Et pourtant ... toute la longue histoire nous crie qu’une minorité opprimée ne rappelle ses oppresseurs au respect qu’en administrant, — même hors de propos, même sur un mauvais terrain, — quelques-uns de ces coups que les gens raisonnables rougiraient de donner aux braves subordonnés de M. Lépine.

Douloureux problème que je livre à vos méditations, cher ami, en vous serrant la main,


8 juillet 1906.

Mon cher ami,

Oui, c’est une grande perte [2]. Gaston Paris, Heredia, Sorel, je les vois tous partir avant l’heure, ces filleuls académiques, mes aînés à peine, que j’avais été si fier d’amener sur nos bancs, et qui étaient là mes plus chers proches intellectuels. Avertissement des ombres du soir qui se font épaisses.

Vous ne me dites heureusement rien de fâcheux sur votre santé ni sur celle de Mme de Pontmartin. Donc aucun exode estival vers des sources moins tranquilles que celle des marronniers.

  1. Edouard Aynard, député du Rhône, membre de l’Institut.
  2. Albert Sorel, décédé le 29 juin 1906.