Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Faites agréer mes respectueux hommages à Mme de Pontmartin et sachez-moi, cher ami, toujours bien vôtre.


20 novembre 1904.

Cher ami.

Est-il bien possible que je ne vous aie pas écrit depuis le solstice de juin ? Cela prouverait que le temps file comme une Mors ou une Renaud avec du 120 à l’heure, et que l’on n’a même plus la mesure de sa fuite éperdue dans celui où nous vivons. Vous ne trouverez pas déplacé ce langage de chauffeur, si je vous dis que le vieux confrère, chef de nom et d’armes, vient de courir les routes du Vivarais en automobile, comme un jeune homme [1]. — Son fils Robert, grand mécanicien devant le Seigneur, l’a fait dévaler sur les pentes du Goiron, grimper à Roche-Colombe, à l’auberge de Peyrebelle, à Thueyts, où un riche butin fut recueilli chez M. de Montravel, butin de vieux papiers, l’archéologue s’occupant exclusivement, à cette heure, de travaux semblables à ceux qui absorbaient chaque matin, de cinq heures à midi, le comte René de Chateaubriand. Quant à moi, j’essaye de tirer Claire des limbes où elle se dérobe à mes étreintes :


Per frustra comprensa manus effugit imago.


Notre été s’est passé fort tranquillement, en Suisse, sur les bords du Léman ; pendant un mois à Champel où je faisais masser et doucher, en souvenir de Taine, une sciatique dont j’ai reçu cette année la seconde visite. Vous savez peut-être que je me suis lâchement dérobé à l’aimable invitation des pétrarquistes vauclusiens ; ils m’avaient prié de représenter l’Académie à leurs fêtes ; j’ai craint qu’il ne fallût subir trop de banquets, entendre et perpétrer trop de discours, à un moment où le thermomètre déraisonnait. Présentement la vie de l’atelier parisien a repris dans l’ordre accoutumé...

Vous ne me parlez pas de votre santé, donc elle est bonne. Je voudrais savoir qu’il en va de même pour Mme de Pontmartin. Qu’elle veuille bien trouver ici mes hommages et vous, mon cher ami, la répétition du vieux refrain très amical.

  1. Le marquis de Vogué recueillait alors les matériaux de son livre Une famille vivaroise, 2 vol. in-8 ; Champion.