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Je compte un peu sur votre mémoire impeccable pour m’aider à deviner les énigmes que la Revue Bleue propose aux Vivarois. La dite Revue publie depuis un mois d’adorables lettres à Chateaubriand, écrites de 1827 à 1829, par une inconnue passionnée, une Marquise de V. qui rêvait du grand homme dans son ermitage de la vallée de l’Eyrieux, entre Beauchastel et La Voulte. D’après Brunetière, ce serait la Marquise de Vichet (?), mariée à 13 ans à un émigré, inspecteur des douanes à Toulouse sous l’Empire. Ses lettres sont exquises, de tout point supérieures aux réponses de René qui fait montre de sa vieille coquetterie habituelle et cherche une aventure piquante. Si Mme Récamier lit la Revue Bleue, elle doit être défrisée ; elle ne régnait pas seule en 1828 et la Vivaroise avait de l’esprit et du cœur à lui en revendre. Dans une allusion discrète à ses malheurs domestiques, elle les dit tout pareils à ceux de la Marquise de Ganges, « de qui les infortunes sont connues de tout le monde dans le Languedoc. » Et Chateaubriand répond : « La Marquise de Ganges ! Est-il possible ? Je n’ose le croire. » — Votre érudition irait-elle jusqu’à savoir qui fut cette Mme de Ganges, et quels furent ses malheurs, légendaires pour nos grands-pères ? Si vous me débrouillez un peu les histoires de toutes ces dames, vous ferez, une fois de plus, mon admiration. — Mme de Vichet (?) était très liée avec Hyde de Neuville, bien qu’elle ne fût pas allée à Paris depuis 1816.

Mieux vaut parler de cet aimable passé que de se lamenter sur le temps présent. Dans quelle combe roulerons-nous encore l’an qui vient ? Beau thème à vaticiner, si mon travail ne me faisait pas souvenir qu’il faut cultiver son jardin. Adieu, mon cher ami, je souhaite qu’il y ait encore quelques fleurs dans le vôtre, pour vous et pour Mme de Pontmartin.


7 février 1903.

Mon cher ami,

Si j’attendais pour vous remercier d’avoir signé le dernier bon à tirer au Maître de la mer [1], mon remerciement serait bien tardif. Suivant ma déplorable habitude, je me suis laissé gagner par le temps : cette fois encore, j’écrirai mes derniers chapitres quand paraîtront les avant-derniers ; et pourtant je travaille

  1. 1 vol. in-16 ; Plon.