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Revue, un articulet au Gaulois, sur des sujets très différents, c’est une gymnastique fatigante ; je ne me sens pas la force de renouveler pendant douze mois cette gageure d’invention et de rédaction, au moins en ce qui concerne la Revue, où les traditions exigent et où nous exigeons de nous-mêmes un travail plus fini. Aussi ai-je promis à Brunetière un roman [1]. Entre une bonne fluxion de poitrine et douze gros rhumes, je choisis le premier mal.

A la fin de janvier, j’irai voir en Camargue s’il y a espoir de récolter dans ce pays autre chose que. des fragments de crucifix brisés. Je compte bien me ménager une relâche de quelques heures aux Angles. Je remets à ce moment des bavardages que m’interdit aujourd’hui l’obligation d’écrire vingt lettres : mais puisque ce plagiaire de jeune siècle, qui ne nous promet pourtant ni Rome, ni Sparte, aura deux ans lui aussi dans deux jours, je veux que vous trouviez ici, pour Mme de Pontmartin et pour vous, le fidèle et affectueux souvenir de votre


Paris, 30 novembre 1902.

Mon cher ami,

Ceci n’est point pour maudire, selon l’ancien rite, l’opération de police du 2 décembre. Nous serions, je le crois bien, les seuls Français qui persistassent dans ce sentiment original. Mais un autre sentiment où je persiste me fait désirer de savoir comment vous traite la vie, et si elle ne vous maltraite pas trop. Il y a vraiment un siècle que j’ignore tout de vous. Je n’ai fait en Camargue qu’une apparition d’un jour entre deux rapides ; la combinaison de trains qui me permettait de regagner le Cher où j’allais chasser, en septembre, ne m’a pas concédé l’arrêt que je m’étais promis à Avignon. Présentement, je suis cloitré, — le dernier moine qu’on aura connu sur le territoire de la République ; — je sue sang et eau pour achever un roman promis à Brunetière fin janvier.

Et vous ? Il y a tout au moins un autre moine aux Angles, me répondrez-vous. Mais je serai renseigné à mon gré, si vous pouvez me donner un bon certificat touchant votre santé et celle de Mme de Pontmartin. Chez moi, les médecins ne s’enrichissent pas, grâce à Dieu...

  1. Le Maître de la mer.