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coutume de rapprocher nos pensées, alors qu’elle était relativement si proche. Je ne prévoyais pas alors que « l’opération de police[1] » me vaudrait un jour les honneurs du pilori, qu’elle serait mon « Cœur léger » ou mon « Ordre moral. » Demain les Noces d’or, en attendant le centenaire de février prochain, où ce siècle à son tour aura deux ans ! On veut, paraît-il, fêter ce centenaire en ressuscitant les Burgraves ; est-ce pour nous faire souvenir que nous approchons des années de Magnus ? Il n’y a pas d’injure, si ce rappel avertit l’écrivain qu’il doit faire les journées doubles pour achever sa petite pyramide. Mon année de travail a été dure avec les deux colliers mensuels de la Revue et du Gaulois, sans compter les extras. L’an prochain, j’interromprai mes exercices à la Revue pour perpétrer un roman ; Brunetière me le demande et je sens la nécessité de me détendre avec un labeur de plus longue haleine, mais qui n’impose pas cette angoissante recherche du sujet, tourment perpétuel de l’esprit…

Les heures fuient et nous entraînent, comme disait le mélancolieux enfant d’Apolline de Bedée. C’est une raison de les défier au moins sur un des rares pans de mur qui demeurent debout parmi les ruines qu’elles font : sur celui où notre amitié s’accroche. C’est pourquoi je vous serre la main au 2 décembre en vous demandant des nouvelles de votre santé ; bonnes et rassurantes comme le veut l’affection de votre vieux « frère mineur. »


30 décembre 1901.

Mon cher ami,

Les souhaits qu’on fait à nos âges doivent être modérés. Ecoutons le conseil du fabuliste, ne soyons pas de ceux qui souhaitent toujours et perdent en chimères le temps qu’ils feraient mieux de mettre à leurs affaires.

D’autant plus qu’il ne nous reste guère de temps à y mettre ! Je souhaite, du moins, que ce temps vous soit paisible et bon, exempt de fâcheuses incommodités. J’arrive au bout de mon année un peu las, un peu vidé ; un article par mois à la

  1. L’écrivain fait allusion à une phrase de sa réponse au discours de M. Gabriel Hanotaux. Parlant de Challemel-Lacour, E.-M. de Vogué disait : « Nul n’avait gardé un souvenir plus amer de l’opération de police, un peu rude, qui rassura un matin de décembre la société effarée. » Voyez Sous les Lauriers, op. cit.