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culte d’une de nos vieilles idoles avec des idées et des sentiments qui plongent par leurs racines au plus profond de notre passé commun[1]. J’espère que ce crayon d’une partie de la figure, à défaut d’un portrait que mon cadre trop exigu ne comportait pas, vous aura paru ressemblant, et point trop indigne du modèle. Je le sens bien ainsi ; et si je me trompe, c’est l’effet de cette déformation inconsciente que nous faisons subir aux très vieux, très proches amis, à force de les attirer à nous ou, si vous préférez, à force de nous substituer à eux dans toutes les dispositions d’âme et les accidents de vie que nous nous figurons avoir partagés avec eux. Peu importe, d’ailleurs ; il me pesait depuis longtemps ; l’occasion s’étant trouvée, je l’ai éructé : Je me sens mieux !

Je vais chercher mon prochain article à Rome Je suis fatigué par mon métier de galérien ; je veux couper cette saison parisienne qui sans cela vous abat son homme entre octobre et août ; je rêve quelques matinées de repos aux thermes de Caracalla, l’article qui vient sans peine, par les yeux, tandis qu’on se vautre là au soleil sous les pariétaires fleuries. Et puis, le Moniteur de Rome me fait de telles et si gracieuses avances, que le moment est bon pour aller causer avec l’homme le plus intéressant de ce temps.

… Je pars après-demain. Je serai de retour pour la réception de Loti. Quel malheur que les Angles ne soient pas sur la route de Modane ! Je vous dirais à bientôt au lieu de vous dire adieu, mon cher ami. Cordiale poignée de mains.


Vais (Ardèche), 10 août 1892.

Mon cher ami,

Le surmenage de ces dernières semaines parisiennes ne m’a pas laissé un instant pour répondre à votre lettre. Vous aurez vu qu’à la Revue et en dehors d’elle, je ne chômais pas ; aussi n’ai-je jamais attendu avec plus d’impatience le momento où la portière du train des vacances se refermerait sur moi : j’ai vraiment besoin d’un repos réparateur. Ce moment a été retardé par la distribution des prix de Stanislas, où j’avais promis de couronner les jeunes élèves préalablement arrosés d’un laïus, et par le mariage de mon neveu Louis de Vogué. Enfin, j’ai pu m’échapper

  1. Voyez dans la Revue du 15 mars 1892 l’article : Une âme de désir : Chateaubriand, recueilli dans Heures d’histoire, 1 vol. in-18 ; A. Colin.