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Que vous dire de plus ? Je travaille en détail, je projette toujours de travailler en grand : mais ma vie est morcelée, dévorée par les idées, les tâches, les groupements d’hommes qui s’emparent peu à peu de quiconque manifeste quelques velléités d’action. Nous sommes dans un moment d’universelle transformation ; chacun en a le sentiment, ceux-là même qui s’en affligent, et dès qu’on croit voir une bonne volonté en quête du mieux, chacun la requiert de prêter appui à une quantité de choses naissantes. Aussi n’ai-je plus une minute pour cette opération si nécessaire qui est de ne rien faire ; et ma correspondance obligée, pratique, ne me laisse plus aucun loisir pour la correspondance de pur plaisir. Cependant le 2 décembre aurait été trop triste, mon cher Henri, si je ne vous avais pas envoyé la poignée de main toujours fidèle, quand même et quoi qu’il arrive de votre dévoué.


15 janvier 1892.

Mon cher ami,

La Revue vous apportera quelques pages sur Lamartine ; vous y retrouverez un peu de nos communes impressions d’antan. J’ai appris hier, malheureusement trop tard, par mon ami Aynard, député de Lyon et gendre de Marc Seguin, qu’il possédait une correspondance où le père Seguin témoigne que deux hommes seulement comprirent les chemins de fer : Arago et... Lamartine. C’est piquant et le témoignage vient de haut... Seguin fut un des grands esprits scientifiques de noire siècle, avec d’étonnantes intuitions sur tout, en plus de ses découvertes pratiques ; autant et plus qu’un Edison français.

Ce travail, un volume à mettre sur pied, vous le recevrez prochainement, et le courant des obligations venant au travers, tout cela a fait de moi un bien mauvais correspondant pendant la quinzaine où les gens de loisir dépensent une rame de papier à lettre. Mieux vaut tard que jamais : supposez que mes calendriers me viennent de Moscou, ce qui est vrai quelquefois, et recevez mes souhaits affectueux, mon cher ami, avec une poignée de main fidèle.


19 mars 1892.

Mon cher ami.

Je sais que vous m’aurez lu avec intérêt dans la dernière Revue puisque je ramentois, — comme il disait volontiers, — le