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pourriez invoquer pour vous reposer, je suis opprimé, accablé, rompu par une grosse besogne, un collier que la Revue m’a mis au cou pour tout l’été. Je vous écris entre deux feuilles de mise en pages, ce qui vous fera excuser le retard de mes remercîments et la brièveté d’un entretien que j’aimerais tant à prolonger. Je voulais du moins vous dire combien je suis sensible au satisfecit que le cher maître veut bien accorder encore

A son disciple respectueux et dévoué.


A Henri de Pontmartin


Paris, 28 novembre 1889.

Mon cher ami,

Plon envoie aux Angles, suivant la coutume traditionnelle, un volume qu’il publie aujourd’hui [1].

C’est vous qui plaiderez les circonstances atténuantes pour le chapitre final ; je ne me dissimule pas qu’il mérite un bûcher en Avignon. A Paris, il ne fait que dire tout haut ce que presque tous pensent tout bas parmi ceux qui pensent bien (???). J’avais pleine liberté de le dire, ayant toujours réservé ma liberté avec un soin farouche. Si le vrai, le nôtre, celui de Goritz, était de ce monde, le cœur eût fait taire la raison, et rien n’aurait eu le pouvoir de me faire parler contre ses intérêts. Mais les autres ? Vous savez comment j’ai appris à les juger en apprenant à lire dans la bibliothèque de Gourdan. Le sang reste toujours fait du lait qu’on a sucé... Je vois les chances de salut dans la transformation de ce qui existe au profit de nos idées, je crois que cette transformation est possible en luttant pour ces idées sur le terrain de la république, et je le dis avec tous les ménagements qu’exige la courtoisie. Mais je le dis nettement. Comme d’ailleurs je ne suis pas moins net sur la chimère de 89, je m’attends à être fusillé de tous les côtés avec un ensemble touchant. J’en ai pris mon parti en écrivant ; j’ai bon des et la lutte m’amuse. J’ai sur ma table un monceau de lettres, signées par des gens de toutes conditions et de toutes nuances qui me disent : « Reviewer, vous avez raison. » Je suis convaincu qu’avant peu d’années, ces correspondants-là auront fait beaucoup de petits et qu’ils seront

  1. Remarques sur l’Exposition du Centenaire, 1 vol. in-16 ; Plon.