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grecques, ou autres, à rester dans leurs foyers ? La migration en masse qui a ruiné en Cilicie l’agriculture, le commerce, paralysé toute vie économique, si elle s’étendait aux autres provinces d’Anatolie, serait un désastre définitif pour l’Empire ottoman. Pour achever de rassurer les populations chrétiennes, il ne serait que juste d’assurer un « foyer national » à celles qui, comme les Arméniens, les Nestoriens, en sont dépourvues ; une petite Arménie autonome pourrait être établie soit dans la région du lac de Van, au contact de l’Arménie transcaucasienne, soit dans un canton de la Cilicie, la région de Dört-Yol par exemple. Il paraîtra enfin indispensable, à qui n’a pas oublié les atroces massacres de bataillons d’Arméniens sans armes par leurs « camarades » Turcs, d’exempter, au moins pendant quelques années, les chrétiens de tout service militaire. Enfin, si les Européens acceptent pour eux-mêmes l’égalité devant l’impôt et la suppression des Capitulations, encore faut-il que, dans un pays qui n’a pas de loi civile indépendante de la loi religieuse, des garanties spéciales, telles que la présence, en certains cas déterminés, de magistrats européens dans les tribunaux turcs, leur soient assurées. Pour faire confiance à la justice et à l’administration turques, il faut attendre qu’elles aient fait leurs preuves, la bonne volonté de quelques personnalités distinguées n’est pas suffisante pour assurer un bon gouvernement à dix millions d’hommes.

Sur de telles bases, il semble que l’accord de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Italie pourrait être facilement réalisé pour la pacification de l’Orient et sa renaissance économique ; la Grèce ne peut que gagner à se retirer, dans des conditions honorables, d’entreprises qui dépassent ses forces et ses ressources. Sera-t-il aussi aisé d’amener les Turcs d’Angora à préférer leur intérêt certain et les garanties d’avenir que leur offre l’Europe occidentale aux vaines chimères du pantouranisme et aux dangereuses suggestions d’un nationalisme aveugle ? On doit l’espérer, en dépit d’intempérances de langage telles que le discours récemment prononcé par Mustapha-Kémal lui-même à un banquet en l’honneur de l’ambassadeur des Soviets. L’essentiel est que l’attitude des trois Puissances occidentales donne la certitude d’un accord complet et résolu ; c’est sans doute cette impression que Youssouf Kemal bey, qui a quitté Paris le 25, est allé porter à Angora. Dans l’intérêt universel, il faut souhaiter plein succès à sa mission. Mais il règne, dans l’assemblée d’Angora, l’état d’esprit le plus intransigeant ; Mustapha Kemal, le 24, s’est écrié, au milieu d’applaudissements unanimes : « Nous sommes assez forts