Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/717

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eu seulement pour résultat d’exaspérer le nationalisme turc, d’éveiller, dans tout l’Islam, surtout aux Indes, un sentiment de solidarité avec les Turcs. Une sorte de mot d’ordre se répandit dans les pays musulmans : la Turquie est aujourd’hui le seul grand État musulman entièrement indépendant ; l’Islam est intéressé à ce que cette indépendance soit respectée ou restaurée ; le calife, lieutenant du Prophète, révéré même des musulmans qui ne sont pas de son obédience, doit être libre.

Les Anglais, dans l’été 1921, comprirent que leur politique avait fait faillite ; ils participèrent avec M. Briand et Bekir Sami bey aux négociations de Londres, qui aboutirent à un accord que l’assemblée nationale d’Angora, malgré les loyaux efforts de Mustapha Kémal, refusa de ratifier. M. Franklin-Bouillon, envoyé à Angora par M. Briand, en rapporta une convention qui n’est pas un traité de paix mais qui a le mérite de mettre fin aux hostilités entre la France et la Turquie et de ramener la politique de la France et celle de la Turquie à une entente favorable à leurs intérêts respectifs, et, lorsqu’elle se développera, utile à nos Alliés et aux chrétiens de l’Empire ottoman. La politique inaugurée par l’accord d’Angora, dont nous ne saurions discuter ici les détails et les modalités, ne peut devenir féconde qu’à deux conditions. La première est que les Turcs d’Angora se départent de l’altitude d’intransigeance à laquelle certains d’entre eux se complaisent et reconnaissent que l’utopie d’un État turc où il n’y aurait que des Turcs non seulement n’est pas réalisable, mais amènerait la ruine définitive de l’Empire ottoman ; le triste état où est aujourd’hui la Cilicie, désertée par ses populations chrétiennes, en est la preuve. La seconde est que le Gouvernement et l’opinion, en France, ne se méprennent pas sur le véritable sens de la tradition historique française dans l’Empire ottoman : amitié avec les Turcs, certes, mais, à la faveur de cette amicale coopération, protection des chrétiens.

Ces circonstances, dont il était nécessaire de rappeler la succession, réunissent aujourd’hui à Paris le marquis Curzon, M. Schanzer et M. Poincaré, animés d’un égal désir d’accord et de pacification. Le point de vue anglais et le point de vue français, nettement antagonistes à l’origine, vont de plus en plus se rapprochant ; les événements ont montré au Gouvernement britannique l’impasse où il s’est engagé en solidarisant sa politique en Orient avec les ambitions exagérées de la Grèce, sans cependant lui donner l’aide effective qui aurait pu la faire triompher. Les Musulmans prennent conscience de la faute morale et de l’erreur politique commise par la Turquie en faisant la guerre à la