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vainqueurs toutes facilites pour désarmer les Turcs et occuper les points stratégiques et les voies de communication ; les Anglais, qui avaient une armée en Syrie et une autre en Mésopotamie, étaient en mesure de le faire. Mais ils estimaient, à cette époque, que l’héritage entier de l’Empire ottoman n’était pas une trop grosse compensation pour les efforts qu’ils avaient dû fournir pour vaincre ses armées. Sous le couvert d’un Empire arabe, ils domineraient la Syrie, la Mésopotamie et l’Arabie ; comme protecteurs d’un Empire turc, ils tiendraient les Détroits, Constantinople, et pousseraient, à la faveur du mouvement pan-turc, leur influence jusqu’au Caucase, en Perse et dans le Turkestan. Sur place, on s’efforçait de faire comprendre aux Français qu’ils étaient mal avisés en réclamant leur part.

Cette politique grandiose, qui s’inspirait du programme autrefois tracé par lord Curzon, vice-roi des Indes, et qui répondait aux formidables besoins de pétrole de la marine et de l’industrie actuelles, était disproportionnée aux forces que l’Angleterre pouvait mettre en ligne pour la réaliser. Tandis que l’Entente, — dont la mésentente était, en Orient, visible à tous les yeux, — négligeait de conclure avec la Turquie une paix définitive, le mouvement nationaliste turc commençait à se dessiner, tandis que les troupes des Soviets envahissaient la Transcaucasie et s’approchaient de la Perse. L’Angleterre fut prise au dépourvu. C’est à ce moment que M. Venizélos offrit l’armée grecque toute fraiche ; elle deviendrait, moyennant récompense, « le soldat continental » dont avait besoin l’Empire britannique. Le débarquement à Smyrne s’opère le 15 mai 1919. En inaugurant cette nouvelle politique, fondée sur la coopération avec la Grèce, M. Lloyd George sentit sans doute le danger de pousser à bout les Turcs, car il chercha à en faire endosser la responsabilité au Gouvernement français. Peu d’heures avant le moment fixé pour le débarquement des Grecs, le secrétaire de M. Lloyd George vint, tard dans la soirée, apporter au ministre de la Marine, M. G. Leygues, un télégramme urgent émanant, disait-il, du Conseil suprême, qui prescrivait aux marins français de prêter effectivement main forte aux Grecs pour opérer le débarquement, tandis que les navires anglais et itabens en resteraient simples spectateurs. Le ministre se garda de transmettre le télégramme, en référa le lendemain matin à M. Clemenceau, qui approuva sa réserve et sut manifester à qui de droit son étonnement. L’incident n’eut pas de suite ; il est caractéristique.

L’essor du nationalisme turc date de l’occupation grecque à Smyrne ; il est renforcé, l’année suivante, par l’entrée à grand fracas des