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Ces deux enfants divins, le Désir et la Mort.


C’est pourquoi je ne doute pas que le Don Juan de Rostand ne prenne rang, et en belle place, dans l’immense littérature du sujet. Mais j’ai peur que les poètes ne persistent à célébrer le Don Juan de toujours et que sa carrière de séducteur ne soit pas interrompue.

La Porte-Saint-Martin a déployé, pour en faire honneur à la Dernière nuit de Don Juan, une mise en scène luxueuse, éclatante, et même trop éclatante. Un peu de mystère eût bien servi ce conte fantastique. M. Magnier est un Don Juan qui manque un peu trop de lyrisme ; M. Yonnell joue avec intelligence le rôle du diable ; et Mlle Moreno dit, comme elle sait dire, les vers de l’Ombre blanche.


M. Albert du Bois est de ce petit groupe de convaincus qui estiment que la tragédie n’est pas tout à fait morte et s’essaient à la faire revivre. On ne saurait lui en vouloir. Naguère il nous donnait, à la Comédie-Française, cette Hérodienne qui eut la bonne fortune de fournir à Mme Bartet sa dernière création. Il s’était alors inspiré surtout de Racine. Il semble que cette fois il ait plutôt songé à Corneille. Les précieuses louaient l’auteur de Cinna d’avoir mis à la scène, dans le personnage d’Emilie, une « adorable furie. » La Domitia des Aigles dans la tempête nous rappelle cette âpre héroïne. Elle aussi ne vit que pour sa vengeance. Elle est la femme d’une seule idée : tuer son mari, qui lui a tué son fiancé.

Le premier acte nous a renseignés sur les conditions vraiment exceptionnelles où s’est fait le mariage de Domitia et de Domitien, ce frère monstrueux du noble Titus. Domitia, jeune patricienne, était à l’instant d’épouser Ælius Lamia. Terrorisé par les menaces de l’empereur, le jeune homme s’ouvre les veines devant nous. Aussitôt Domitia, qui jusque-là s’y était vigoureusement refusée, consent à épouser Domitien. Tout autre que cette brute se serait méfié. Mais ce n’est qu’un taureau en folie. Il veut posséder Domitia et ne voit pas plus loin. Et puis, rude plébéien., il compte bien, comme feu le Maître de forges, briser la résistance de cette fille orgueilleuse.

Le « deux » et le « trois » sont consacrés à deux tentatives d’assassinat qui échouent. Quatrième acte. Une dernière conspiration, qui est la bonne. Domitien meurt sous le poignard des conjurés, à l’instant où peut-être Domitia s’allait relâcher de sa haine. — Peu de variété, comme on voit. Drame d’alcôve sous des costumes historiques, plutôt que tableau d’histoire. Mais drame bien découpé, attestant une réelle entente de la scène ; une langue claire et parfois expressive.