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pis pour elles si, ayant cédé à l’attrait brutal, elles ont à s’en repentir : elles n’avaient mis dans la banale aventure rien de ce qui mérite le beau nom d’amour. Est-il même bien vrai qu’elles souffrent ? Pleurent-elles ou feignent-elles de pleurer ? En tombant dans la coupe où Don Juan les recueille, leurs larmes sonnent faux. Cependant, entre toutes les ombres qui entourent Don Juan de leur troupe ironique, une se sépare des autres : l’Ombre blanche. Ombre de la seule qui peut-être ait été sincère, elle consent à dire son nom. Ce nom est le seul que Don Juan ait omis d’inscrire sur sa liste !

Pour achever d’humilier Don Juan, le poète met sur sa route le Pauvre, ce Pauvre auquel il lui arriva de donner un louis pour l’amour de l’humanité. Au moins voilà une bonne action ! Don Juan s’en targue : c’est par lui que le mot d’Humanité est entré dans l’histoire ! Mais ce Pauvre, qui a oublié d’être un pauvre d’esprit, ne s’en laisse pas imposer. Il sait bien que l’humanité, la liberté, le peuple, Don Juan s’en souciait comme d’une guigne... Pauvre, merci ! D’un mot vous avez dégonflé l’outre aux grands mots. Car, c’est surtout de la « scène du Pauvre » que se sont emparés ceux qui ont voulu promouvoir Molière à la dignité de précurseur de la Révolution. Que d’encre elle a fait couler ! Que de déclamations elle a déchaînées et quel galimatias ! Le plus beau mérite du théâtre de Molière, c’est encore d’avoir pu résister à certains de ses panégyristes.

On voit combien il y a de pensée dans la Dernière Nuit de Don Juan et combien l’inspiration en est personnelle, forte et noble. Dirai-je que j’y trouve une rigueur un peu trop générale et trop uniforme ? La condamnation est sans nuances : est-elle sans appel ? Je serais tenté de réclamer tout au moins pour quelques-unes des femmes que le séducteur a entraînées. Comment croire que beaucoup d’entre elles ne l’aient pas vraiment aimé ? C’est là le danger avec Don Juan, et c’est par là qu’il est redoutable : de très honnêtes femmes se laissent abuser par lui. Dona Elvire l’a aimé, elle l’aime encore. Comment refuser de la plaindre et de quel soupçon troubler l’eau pure de ses larmes ? Et, bien entendu, je ne prendrai pas la défense de Don Juan contre son fougueux contempteur. Qu’il soit égoïste et menteur, c’est un fait. Qu’il joue la comédie, cela crève les yeux ; mais c’est une comédie que la nature même lui a enseignée. On nous apprend, dans l’Ame en folie, que la forêt printanière est toute pleine de Don Juans en train de lisser leur plumage et de lancer leur appel d’amour le plus musical. Si Polichinelle n’est que ce dont Rostand l’accuse, Don Juan est autre chose : il est le désir, dont un poète a dit :