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et ce n’est pas la faute de la science, ni son ridicule, si un Bouvard et un Pécuchet l’entendant mal, l’ont tournée en caricature. Elle ne dépend ni d’un Pécuchet ni d’un Bouvard ; elle existe sans eux. Une telle critique ou raillerie de la science, présentée ainsi, serait sans portée aucune.

Flaubert se moque-t-il de ses bonhommes ? Il s’en moque. Mais, quoi ! l’objet du roman n’est-il que de montrer, aux prises avec la science, deux imbéciles ? On en rirait un peu de temps ; puis on aurait bientôt fini d’en rire. Au surplus, Bouvard et Pécuchet sont-ils exactement des imbéciles ? C’est une question qu’a posée, dans le Mercure de France, M. René Dumesnil et que reprend M. Descharmes. Des sots ! comme dit Faguet, qui attribue à Flaubert « le mauvais désir de trouver ses personnages toujours stupides, même quand ils ont une idée à moitié juste. » Et Barbey d’Aurevilly les appelle « deux imbéciles de base et de sommet. » M. Dumesnil observe que d’abord Flaubert semble détester ses bonhommes, deux types de « médiocrité bourgeoise, » et qu’ensuite, sans leur accorder son amitié, il les traite avec plus de bienveillance, avec une sorte de pitié indulgente. M. Descharmes note ces mots : « Ils s’informaient des découvertes, lisaient les prospectus ; et, par cette curiosité, leur intelligence se développa. » Bouvard dit un jour : « La science est faite suivant les données fournies par un coin de l’étendue ; peut-être ne convient-elle pas à tout le reste qu’on ignore, qui est beaucoup plus grand et qu’on ne peut découvrir. » Ce n’est pas bête ; Flaubert ne dit pas que ce le soit ; Flaubert ne se moque pas de Bouvard qui résume ainsi une idée juste. Bouvard et Pécuchet travaillent, tant bien que mal, et, si dépourvus du génie qu’on les voie, du moins sont-ils très supérieurs à la moyenne des gens qui les entourent. On les calomnie, on les houspille de maintes manières : « Alors, une faculté pitoyable se développa dans leur esprit, celle de voir la bêtise et de ne plus la tolérer. Des choses insignifiantes les attristaient ; les réclames des journaux, le profil d’un bourgeois, une sotte réflexion entendue par hasard. En songeant à ce qu’on disait dans leur village, et qu’il y avait jusqu’aux antipodes d’autres Coulon, d’autres Marescot, d’autres Foureau, Us sentaient peser sur eux comme la lourdeur de toute la terre. » Sont-ils encore des imbéciles ? Mais non. Et le sentiment que leur prête Flaubert, vous l’avez bien reconnu : c’est le sentiment de Flaubert lui-même et, si je ne me trompe, le sentiment d’où provient le roman de Bouvard et Pécuchet.

Ni l’amour de la science, ni la curiosité, ai le désintéressement de