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bonhomme et à ses calembredaines un plaisant chapitre. Et, si vous dites que ce Feinaigle ne vous importe guère, Bouvard et Pécuchet vous l’ont pourtant recommandé, Bouvard et Pécuchet dont il est dignement le maître et le camarade.

En outre, M. Descharmes fait, à propos de Feinaigle, une intéressante remarque. C’est que Flaubert n’a tiré, de ce Feinaigle, qu’un très petit nombre de lignes : tandis que l’aventure de Feinaigle et de Guivard lui pouvait donner bien davantage. M. Descharmes fait la même remarque au sujet d’Amoros, à qui Flaubert emprunte les éléments principaux du chapitre où son Bouvard et son Pécuchet s’éprennent de la gymnastique. Don Francisco Amoros, marquis de Sotelo, régidor de San-Lucar, ensuite l’auteur du Gymnase normal, est un personnage extraordinaire ; et de sa vie, de son Manuel, de son Atlas, Flaubert pouvait tirer des merveilles de drôlerie. Au lieu de quoi, Flaubert se contente de quelques traits, qu’il a discrètement choisis parmi les moins grotesques. Bouvard et Pécuchet, disciples de Feinaigle et d’Amoros, allaient facilement à une absurdité bien réjouissante. M. Descharmes vous avertit de constater ici l’intention de Flaubert, qui n’est donc pas que son roman tourne à la bouffonnerie. Songez-y, afin de ne pas interpréter à contre-sens le roman de Bouvard et Pécuchet.

Flaubert a très attentivement préservé la vraisemblance et la vérité de son Bouvard et de son Pécuchet. Il lui appartenait de les rendre beaucoup plus extravagants l’un et l’autre, suivant Amoros et Feinaigle. En somme, il ne s’est pas acharné contre eux ; et plutôt il les aménagés.

Flaubert, qui préserve la vraisemblance et la vérité de ses bonshommes, compose-t-il un roman réaliste ? C’est une question qu’examine M. Descharmes ; et voici comment il la traite, d’une manière qu’il emprunte à l’auteur d’un essai sur Madame Bovary, M. Ernest Bovet, d’une manière assez ingénieuse. M. Bovet néglige « le fait divers Delamarre » et ne s’occupe aucunement de savoir si Flaubert a copié ce fait divers ou l’a modifié ; il se demande si le récit de Flaubert est agencé selon la vraisemblance et la vérité probable, si la chronologie de l’aventure se déroule bien, si l’espace des mois, des jours et des heures est observé avec justesse. Il répond, oui ; car il a trouvé que chaque détail était à sa place. M. Descharmes soumet à la même épreuve le roman de Bouvard et Pécuchet ; la conclusion ? différente.

Le 20 janvier 1839, Bouvard reçoit de Me Tardivel, notaire, la lettre