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REVUE LITTÉRAIRE

AUTOUR DE « BOUVARD ET PÉCUCHET » [1]

Voici un gros livre, — trois cents pages in-quarto, — consacré au roman posthume de Flaubert, à son roman certes imparfait, bizarre, un peu absurde, et si beau. Encore l’auteur de ce gros livre ne croit-il pas avoir, comme on dit, épuisé le sujet. Pas du tout ! Il a seulement réuni quelques études relatives au « réalisme » de Bouvard et Pécuchet, relatives aux « sources » de plusieurs chapitres, mnémotechnie, ou gymnastique, ou géologie, relatives au second tome que Flaubert n’a pas eu le temps d’écrire. Flaubert, avant de composer son roman, n’avait-il pas lu quinze cents volumes de toute sorte ? L’analyse des sources ne serait complète que si le commentateur lisait à son tour ces quinze cents volumes. Il faudrait, en somme, refaire tout le travail de Flaubert, afin de voir comment il l’a fait. M. René Descharmes s’est judicieusement borné à l’examen de quelques problèmes.

Un si gros livre, et incomplet ! J’avoue que j’aime beaucoup ces gros livres ; mais je crois que j’ai tort, et je l’avoue, de les tant aimer. Au bout du compte, un romancier qui donne son œuvre la considère comme suffisante à elle-même ; il croit qu’elle existe, qu’elle est vivante et intelligible. Ne l’est-elle pas ? Le commentaire dont vous avez jugé qu’elle a besoin signale son infirmité.

Il convient pourtant de noter la différence qu’il y a entre la littérature ancienne et la nouvelle. La littérature a été plus « objective «  qu’elle ne l’est devenue ; elle est devenue extrêmement « subjective » . Une tragédie de Corneille ou de Racine, une comédie de Molière,

  1. Autour de Bouvard et Pécuchet, « études documentaires et critiques, » par René Descharmes (Librairie de France). Cf. Gustave Flaubert, discours, par Paul Bourget (librairie Champion).