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excite la sympathie de toute la jeunesse d’Europe. Je reconnais sans peine les « limites » de l’impressionnisme. Avec tout cela, peut-on dire que la nouvelle école ait encore rien fait de comparable à la double rangée de tableaux, romantiques ou impressionnistes, aux Ingres et aux Delacroix, aux Corot et aux Chassériau, aux Manet, aux Monet et aux Fantin-Latour, qui se font vis-à-vis dans la salle principale de l’exposition ? Qu’a-t-elle à nous montrer d’égal à ces chefs-d’œuvre ? Où sont ces talents nouveaux et ces valeurs nouvelles, qui se lèvent pour remplacer leurs maîtres et leurs aînés ?

Je ne doute point des intentions classiques de la jeunesse. Mais les mots sont des mots, et il n’y a que les œuvres qui comptent. Puisque l’exposition dont je parle est donnée au profit du Musée de Strasbourg, je crois que nos jeunes camarades pourraient réfléchir utilement sur ce sujet : lequel de leurs ouvrages serait digne de figurer dans ce musée auprès d’une merveille comme l’Algérienne de Corot ou le Portrait de Mme Gonse, ou à côté de l’Éducation de la Vierge, une perle ignorée d’Eugène Delacroix ? Y en a-t-il qui vaille le Musicien de Degas, ou le divin paysage de la collection Comiot, ce penchant de colline ruisselant de soleil et de fleur, où Renoir a mis toute la joie d’un Paradis d’Angelico ? Des dix ou quinze tableaux qui composent la salle des « fauves, » combien feraient honneur à la France ? Il faut bien y songer, dans ce Strasbourg où le jeune Gœthe, amoureux d’une Française, prit la première idée d’une politesse supérieure et d’une culture parfaite. Où il n’y a pas la grâce, on ne reconnaît pas la France.


LOUIS GILLET.