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J’ai peur de ne pas très bien entendre M. André Lhôle, quand il parle du « sur-réalisme » de la jeune école, et quand il le déduit du « réalisme-déformateur » du peintre de l’Odalisque. Ce n’est pas parce que cette dernière a « deux vertèbres de trop » (est-ce bien sûr ? ) que le vieux maître de Montauban nous paraît admirable ; c’est parce qu’il a eu plus vivement que personne le sentiment de la beauté ; c’est parce qu’aucun peintre n’a connu comme lui le pouvoir d’une ligne, et que nul n’a rendu les choses du monde plastique dans une forme plus rigoureuse et plus particulière. Il suffit de jeter les yeux sur le portrait de Mme Gonse : essayez de reproduire le geste, en apparence si naturel, des doigts de la main gauche, qui soutiennent cette tête charmante ; essayez, je ne dis pas de copier ce dessin à la fois mystérieux et précis, volontaire et insaisissable, mais d’imiter le mouvement et de vous figurer la position de cette main, et vous comprendrez peut-être ce qu’un maître comme Ingres met de génie dans l’observation, et ce qu’il entre de personnel dans la plus simple de ses expressions. Que nous donnent, auprès de ces merveilleux poèmes sensuels, nos jeunes « sur-réalistes » ou « impressionnistes- plastiques, » comme il leur plaît de s’appeler ? Laissons les théories et les systèmes à part, et ne considérons que les œuvres qu’on nous présente : c’est une insignifiance qui ne se sauve du commun que par la bizarrerie, des pochades en style d’affiche, au fond desquelles se hérissent d’inexplicables peignes, ou roulent des « volumes » d’une mollesse dégoûtante, des figures d accroche-cœurs, qu’on nous rend incompréhensibles par des syncopes et des brisures, et qui ne cessent d’être en tôle que pour prendre l’apparence du carton.

Il est vrai que les styles meurent et que les formes changent. L’art est obligé quelquefois de renouveler son instrument. C’est ce qui s’est passé sous nos yeux dans la poésie. Les poètes essayèrent quelque temps du vers libre, et puis ils en revinrent à l’ancienne prosodie, délivrée çà et là de certaines contraintes, et soumise seulement à un rythme secret et délicat. On devine qu’un travail semblable s’accomplit depuis quinze ans dans les ateliers. Il serait inintelligent de le décourager. C’est l’honneur de l’école française, que l’impossibilité où elle est de s’endormir et de se reposer jamais ; c’est ce qui en rend l’étude si passionnante, et ce qui, aujourd’hui encore,