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la terre à coups de fusil, nous vous la reprenons à coups de « douros, » disent ces Berbères âpres et tenaces. » Que leur répondre ? A la vérité, la chose avait commencé avant 1914, mais le mouvement s’est amplifié, ce qui n’est pas sans inconvénients ; s’il est heureux que l’indigène fixe son avoir et que, désormais, il s’attache à la tranquille possession de son bien, on n’en prévoit pas moins que la production agricole sera affaiblie. La race sera-t-elle capable de nous remplacer ? On peut en douter d’ici à longtemps. Assurément, les gains réalisés par les colons au cours de la guerre n’ont pas été inférieurs à ceux des indigènes ; on s’expliquerait donc mal ces nombreuses mutations de propriétés françaises, si on ne discernait, à côté de l’incapacité de résister à des offres séduisantes (souvent 4 et 5 fois la valeur d’avant-guerre), comme un découragement devant la crise aiguë de la main-d’œuvre, et en face de l’abaissement de sa qualité. L’état d’esprit, devenu souvent déplorable chez l’indigène, inquiète le colon ; celui-ci est alors heureux d’en avoir fini avec des difficultés dont il ne voit pas la solution, et qu’il s’exagère pour se justifier à ses propres yeux de vendre sa terre ; quant à l’indigène enrichi, il convertit un papier monnaie, qui lui inspire peu de confiance, en une solide propriété.

Il faut également tenir compte du désordre général auquel l’Algérie n’a pas échappé, alors que partout se manifestait la ruée vers la dépense et vers le luxe. Des colons aspirant à la grande vie sont venus la chercher à la ville, et Alger, brillante capitale aux plaisirs faciles, regorge de population et souffre d’une crise aiguë de logement. L’Européen est remplacé, dans l’intérieur, en vertu d’un mouvement analogue, par l’indigène « nouveau riche » et ce dernier, installé dans son récent domaine, entend également améliorer son existence. Et comme le colon français a souvent moins d’enfants que l’indigène qui possède, au contraire, une nombreuse progéniture, on peut déduire l’avenir réservé, d’une manière générale, à la propriété française. Ajoutons que le colon sera de moins en moins suivi, en ces temps d’après-guerre, par un autre immigrant français venant de France continuer son œuvre.

Le nombre des propriétés françaises diminuant, la puissance française ne s’augmentera donc pas, quoi que puissent prétendre, pour s’en consoler, quelques idéologues, et l’on partage les inquiétudes de l’Administration. C’est, en somme, un recul