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à son père, bien qu’elle n’ait pas ses cheveux blonds. Elle a avec l’enfant maint et maint dialogue tendre et puéril. Elle la couvre de baisers et la baigne de larmes. Elle dit sa vanité à la parer, à lui mettre la « petite toque rose qui lui va si bien » et qu’elle fit naguère baiser à William.


La première fois qu’elle l’a portée, c’est moi qui la lui mis moi-même après l’avoir baisée mille fois. Je lui dis : Embrasse, ma Caroline, cette coiffure. Ton père n’est pas si heureux que moi ; il ne la verra pas ; mais elle doit l’être chère ; il y a mis sa bouche.


L’impression que laissent ces lettres, c’est d’abord qu’Annette est vraiment, sincèrement, bonne et passionnée. Il n’est pas un mot d’amertume ni de récrimination dans toutes ces pages. Son désintéressement n’est pas moins manifeste. Elle n’élève aucune plainte de misère, aucune demande d’aide matérielle. Elle est toute sensibilité. Elle l’est trop pour notre goût d’aujourd’hui, même en tenant compte des circonstances dans lesquelles elle écrit. Sur sa tendresse naturelle s’est superposée, on le sent, la lecture des romans d’alors, où les larmes coulaient à flots, où abondaient les apostrophes émouvantes. Cela est d’autant plus notoire que sa culture est plus sommaire. Ni ponctuation ni orthographe dans ses épîtres. Çà et là des tours de langage populaire, comme « le chagrin que vous avez rapport à moi, » alternent avec des périodes entières où ruisselle abondamment la faconde sensible de cette génération. Elle écrit à Dorothée :


Souvent seule dans ma chambre avec ses lettres (celles de William), je crois qu’il va entrer. Je suis prête à me jeter dans ses bras et lui dire : « Viens, mon ami, viens essuyer des larmes qui coulent depuis longtemps pour toi ; volons voir Caroline, ton enfant, ta ressemblance ; vois ta femme, le chagrin l’a bien changée ; la reconnais-tu ? oui, à cette émotion que ton cœur doit partager avec le sien. Si ses traits sont changés, si cette pâleur la rend méconnaissable, son cœur est toujours le même. Il est toujours à toi. Reconnais ton Annette, la tendre mère de Caroline... » Ah ! ma chère sœur, voilà l’état où je suis continuellement ; revenue de mon erreur comme d’un songe, je ne le vois point, le père de mon enfant ; il est bien loir » de moi. Ces scènes se renouvellent bien souvent et me jettent dans une mélancolie extrême.


Intarissable quand elle épanche son cœur, elle ne semble