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en se montrant maintenant prêt à entrer dans quelqu’une des carrières qu’ils lui indiquaient, voire la carrière ecclésiastique qui, à cette époque, ne réclamait pas une foi bien stricte. Il retournerait donc en Angleterre pour en revenir bientôt, afin d’assister sur place ou de ramener chez lui celles qu’il laissait en France. Ce plan fut soumis à Annette qui s’y résigna. William reviendrait l’épouser dès qu’il aurait obtenu l’assentiment et l’aide nécessaire de ses tuteurs.

Un autre aurait pu prendre la décision inverse : épouser Annette sur-le-champ pour mettre ses tuteurs devant le fait accompli. Le mariage d’abord ; l’argent viendrait ensuite quand il pourrait. Belle témérité, mais qui trouvait un obstacle dans le fond de prudence inné du jeune poète. Sa circonspection native le portait à surseoir. Il se peut d’ailleurs qu’il soit resté un peu effrayé de la fascination qu’il subissait. En somme, il vivait en France depuis des mois dans un air inconnu, étrange, surchauffé, où il se sentait parfois comme dans un rêve. Annette était bien séduisante, mais elle lui restait en partie mystérieuse. Il s’inquiétait d’avoir abdiqué sa volonté, perdu la direction de ses actes. Elle avait l’initiative et l’entrainait à sa suite, non seulement parce qu’elle avait quatre ans de plus que lui, mais aussi parce qu’elle était douée de cette intrépidité naturelle qui est aveugle aux conséquences, de ce tempérament aventureux qui fera bientôt d’elle une conspiratrice accomplie, une « intrigante, » diront ses adversaires politiques. Qui dira si elle ne trouvait pas dans le secret une jouissance et jusque dans ses malheurs une excitation qui avait un charme ? Wordsworth aurait-il eu au fond de lui une vague inquiétude de celle qu’il aimait ?


VIII

Wordsworth, de retour à Londres, est partagé entre deux soins : la publication de ses deux premiers poèmes (qui sait s’ils ne lui apporteraient pas avec la gloire la fortune ? ) et la démarche nécessaire qu’il doit faire auprès de ses oncles. Il hésite à les affronter, les sachant mécontents et hostiles. Il prie sa sœur Dorothée qui vit avec son oncle, le Dr Cookson, pasteur anglican, de se faire son avocate. Il confie tout à Dorothée qui se sent aussitôt pleine d’affection pour la jeune mère française et pour son enfant. Elle n’imagine pas d’autre issue que