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aux jours heureux de l’innocence. » Mais il n’est pas sûr que la maison où vivait Annette ait été ouverte au jeune homme. Aussi est-il à croire que Wordsworth. a tiré de ses souvenirs les vers, — les derniers beaux vers du poème, — où il décrit une entrevue nocturne des amoureux, évoquant à cette occasion le souvenir de Roméo et Juliette, et de l’alouette qui donna le signal du dernier embrassement. Cette scène de passion au cours d’une nuit d’été, que sûrement la narratrice française ne put voir de ses yeux ni ouïr de ses oreilles, commémore sans doute une des secrètes rencontres des amoureux dans cette seconde partie de leurs amours :


... Dans toutes ses cours vides
La déserte cité dormait ; les vents mobiles
Qui n’ont pas, eux, de temps marqué pour le repos,
Se taisaient ; cependant là-haut la Voie lactée
Découvrait tous ses feux dont les pulsations
Semblaient le battement dames mystérieuses, —
Félicité puissante où l’angoisse se mêle ;
Leur cœur trop plein sentait l’univers suspendu
Au mince filament de leur rencontre brève !


L’autre fait saisissant du séjour de Wordsworth à Blois, la ville des Vallon, c’est sa liaison avec Michel Beaupuy. De celle-ci seule il a parlé, abondamment et admirablement, dans son Prélude. Mais en omettant Annette, il a du même coup supprimé ce qui fit la complexité pathétique de ces mois d’été.

Wordsworth qui ne peut plus maintenant voir Annette qu’à la dérobée, se trouve rejeté sur d’autres compagnons. Il semble qu’il ait cette fois pris pension avec les officiers de l’ex-régiment de Bassigny qu’il nous dépeint tous, sauf un, comme des aristocrates exaltés, ne songeant qu’à émigrer. C’est alors qu’il se lie d’amitié avec le seul qui soit épris des idées nouvelles, le capitaine Michel Beaupuy. Très vite leur amitié devient étroite et le jeune étranger écoute avec déférence l’officier noble de trente-sept ans qui a sacrifié tous les intérêts de sa caste et l’estime même de ses collègues, à la cause révolutionnaire. L’ardent prosélytisme de Beaupuy fait du jeune Anglais un vrai patriote, — un jacobin au sens de 1792, — animé d’une ardeur égale à la sienne. Ensemble ils fréquentent le club patriotique de Blois ; ensemble ils font dans la ville et aux