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la prudence et la passion sur la sagesse. Ils s’aimèrent, et sans réserve, dès Orléans ; et quand Annette quitta cette ville pour retourner à Blois, au début du printemps de 1792, elle portait déjà comme Julia, peut-être sans le savoir ou sans en être sûre encore, « la promesse de la maternité. »


V

Faut-il chercher dans Vaudracour et Julia la raison de ce changement de résidence ? Vaudracour a contre lui non seulement son père, mais encore les humbles parents de Julia effrayés par la colère du gentilhomme. Julia, dès que sa grossesse leur est connue, est emmenée par eux un soir, malgré elle, dans une fuite précipitée. Son amant, quand, le matin venu, il s’aperçoit de cet enlèvement, ne sait où la chercher. « Il gronda comme une bête fauve prise dans les filets. » Mais bientôt il découvre sa piste, la suit jusqu’à la ville lointaine où elle a été conduite et enfermée :


Ce sont des allées et venues devant sa demeure, le guet pendant des heures ; — et la belle captive (qui, autant qu’elle le pouvait — hantait sa croisée, comme une hirondelle — volète et bat de l’aile, presque à portée de la main — autour de son nid suspendu) aperçut ainsi — son amant ; d’où une entrevue dérobée, — accomplie dans l’ombre tutélaire de la nuit.


Annette aurait-elle été de même ramenée à Blois contre son gré et soustraite à son ami par sa famille alarmée ? C’est plus que nous n’en saurions dire. Son père n’existait plus ; sa mère remariée avait une moindre prise sur elle. Mais Blois était sa ville, c’est là qu’était la maison de famille. Elle n’avait guère de ressources personnelles et n’avait probablement séjourné à Orléans que sur l’invitation d’amis, ou de son frère Paul, pour un temps limité. Malgré ses vingt-cinq ans, elle restait donc en partie dépendante des siens, et il est probable qu’à Blois l’intimité du couple fut plus gênée qu’à Orléans. La ville était plus petite et Annette plus surveillée.

Les deux amoureux se promenèrent bien dans Blois et aux alentours de la ville. Nous savons même que leurs promenades les ramenaient souvent auprès du couvent où Annette avait été élevée, occasion pour eux de s’attendrir « en pensant