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insaisissables et sans emploi, parce qu’il n’y a même plus d’organisation industrielle ou de moyen de transport pour les exploiter. Sur le sol russe, ravagé par la famine, vivent 150 millions de paysans qui peuvent à peine assurer leur subsistance, alors qu’avant la guerre, ils exportaient annuellement une valeur d’environ 2 milliards de francs en produits agricoles. C’est là l’une des causes profondes du présent malaise économique, qui s’aggrave encore par le fait que la Russie, livrée à elle-même, n’est plus qu’un grand corps invertébré, impuissant à se relever sans des concours étrangers.

Mais quels seront ces concours, et quel en sera le prix, telle est la grande question qui se posera devant la Conférence de Gênes, sous le titre de « Reconstruction économique de l’Europe. »


I. — LA POLITIQUE ALLEMANDE D’AVANT-GUERRE

La présente étude n’a pas pour objet d’esquisser un plan de reconstruction de l’Europe et de montrer, dans ce plan d’ensemble, la place que doit occuper la Russie de demain. Notre tâche sera seulement de donner quelques précisions sur un fait qui nous parait dominer tout le problème : l’intervention active de l’Allemagne en Russie, dans un dessein politique autant qu’économique, avec toutes les conséquences qui peuvent en résulter, dans l’avenir, pour la paix du monde.

Nous n’avons pas l’intention de faire aux dirigeants de l’Allemagne nouvelle un procès de tendance ; mais il est des actes qui parlent d’eux-mêmes ; il y a surtout des chiffres, dont nous pouvons faire état, afin de montrer ce qu’a été, dans le passé, la pénétration allemande en Russie. Si telle était déjà la grande pensée de l’Allemagne avant la guerre, — coloniser à son profit l’Empire Slave, — on est fondé à conclure qu’elle ne saurait abandonner ce projet après la défaite et la perte de ses colonies, alors qu’elle peut trouver, comme premier résultat, dans la réorganisation russe, les éléments d’une victoire sur le terrain économique.

La puissance de l’Allemagne n’était pas, en effet, constituée seulement par l’importance de ses armées de terre ou de mer ; elle avait à sa base un développement commercial, un outillage industriel, une exportation mondiale, en un mot une force