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Crimée, Sébastopol aux grands souvenirs. Je viens d’envoyer aux Débats les notes de ma course en Bohême, mais les Débats ne pénètrent pas aux Angles !

Est-ce que les Venaissins prennent les mœurs de nos Russes, est-ce qu’ils font parler le « Coq rouge ? » Je viens de lire dans une Gazette que les forêts (oh ! ces méridionaux !) de votre voisin des Issarts flambaient. J’espère que le feu n’aura pas gagné vos garrigues. Quand les reverrai-je ? Quand y reporterai-je mes cheveux grisonnants, — car ils grisonnent ferme, — et mon amitié toujours bon teint ? Comptez sur cette dernière, mon cher ami, vous savez qu’elle est sourde à cette vilaine musique des heures, qui couvre peu à peu toutes les belles chansons d’autrefois.


A Armand de Pontmartin


Vers 1886.

... Je me figure que, lorsque vous regardez de votre ermitage les transformations rapides et les chutes de ce temps, vous devez parfois vous sentir plus burgrave que Job, vous devez dire à Henri comme Job à Otbert :


... Fils,
Mon pays me fait mal, je regarde ma race,
Ma race me fait peur.


On nous montre en ce moment l’œuvre de Delacroix, un qui voulait avec son pinceau ce que vous avez voulu avec votre plume. Cela a l’air de dater de trois siècles ; les peintres très forts et très pratiques d’aujourd’hui y viennent rire en compagnie. Moi, je suis tout bêtement séduit par cette orgie de rêves, de passions et de grands efforts, par ces lions à crinières rouges et ces lions à redingotes pincées, ces Croisés, ces émirs, ces Sardanapales. J’ai pensé à vous, là ; vous y eussiez été plus jeune encore que moi, chez vous ; vous m’auriez dit comment c’étaient toutes vos idées et tous vos sentiments qui palpitaient dans les tableaux de votre contemporain, et que personne ne comprend plus. Après quoi, je vous aurais fait lire un numéro de la Revue indépendante, des vers de Stéphane Mallarmé et de la prose de Paul Verlaine, l’illustre auteur des Chairs molles..., et vous auriez couru d’une traite à la gare de Lyon, épouvanté.

Adieu, cher maître, j’ai abusé de l’occasion et je suis inquiet : vous refusez, me dites-vous, les lettres des excentriques,