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de mon voisin. Qui nous départagera ? Il y a bien le suffrage universel et ce chiffre sans réplique : 215e édition, que j’ai lu sur le chef-d’œuvre de M. Ohnet dans la gare de Carlsbad. C’est aussi péremptoire que le Sans dot ! Oui, mais M. Ohnet lui-même ne contente qu’un cénacle en comparaison de M. Richebourg, qui fait palpiter les 800 000 lecteurs du Petit Journal, et cet « écrivain » doit baisser pavillon à son tour devant Mathieu de la Drôme. Je lisais hier dans Joseph de Maistre : « La fortune des livres serait le sujet d’un bon livre ; les uns ont la renommée et les autres la méritent. »

Si vous me demandez pourquoi je relis le terrible comte, je vous répondrai que je me suis laissé entraîner à promettre un petit volume sur lui pour une publication que la maison Hachette va entreprendre. C’est une idée assez heureuse, qui est née un beau dimanche entre quelques amis chez Gaston Paris et qui a fait son chemin. Quelqu’un fit remarquer que nous n’avions rien de semblable à la collection des sketches, où les Anglais popularisent les biographies de leurs grands écrivains d’une façon méthodique, dans des volumes à bon marché. On dressa, séance tenante, et non sans grands débats, comme vous pouvez croire, une liste des quarante plus grands écrivains français, — le chiffre 40 est fatidique chez nous en littérature, — on résolut de les partager entre 40 noircisseurs de papier en tenant compte des affinités électives ou des sympathies qui donneraient du piquant pour le public à ces conjugaisons d’un mort et d’un vivant. Et voilà comment G. Paris fera Villon, E. Augier Corneille, Caro Descartes, Zola Rabelais, Brunetière Bossuet, Halévy Marivaux, Pailleron Beaumarchais, Renan Lamennais (c’est la perle, le clou !), A. Dumas George Sand, Taine Sainte-Beuve, Bourget Stendhal, J. Simon Thiers, etc.. Pour ma part, je rompis des lances pour faire inscrire sur la liste de Maistre qu’on avait, omis, et, comme conséquence, je dus m’en charger [1]. Ce seront de petits volumes cartonnés à 2 francs, tirés à 10 000 exemplaires, et le peuple français n’aura plus d’excuses s’il ignore ses gloires. Voilà à quoi j’occupe mon été.

Je vais nonobstant tirer un pied de cochon pour aller voir le littoral de la Mer Noire, que je ne connais pas encore, Odessa, la

  1. L’étude de E.-M. de Vogué sur Joseph de Maistre resta inachevée. Ce fut M. Georges Cogordan qui publia dans la collection Hachette le volume sur J. de Maistre.