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participé. Un fait singulier et instructif vous sera affirmé par tous les Parisiens qui s’occupent des choses de théâtre : en l’an de grâce 1886, les directeurs osent à peine mettre sur l’affiche Hernani et Ruy Blas ; ils n’osent pas remonter les autres drames, malgré les sollicitations officielles, de peur d’y perdre à coup sûr de l’argent ; et quand ces mêmes directeurs donnent Andromaque ou Bérénice, on ne peut pas se procurer un strapontin l’avant-veille. J’en ai fait plusieurs fois l’expérience à l’Odéon et aux Français. J’ai également constaté qu’on prenait plus de plaisir et qu’on ricanait moins à Antony qu’aux drames d’Hugo Pour son théâtre, il y a positivement « décri » et définitif, je le crains, ce qui ne sera pas le cas des premières œuvres lyriques…

Vous abordez des sujets plus graves et que je ne veux pas reprendre ici en quelques lignes. Mais pourquoi pensez-vous qu’en rappelant les origines de l’univers selon la science, j’en ai parlé « heureusement sans y croire. » Je vous assure que j’y crois très fermement, et je croyais m’être suffisamment expliqué sur leur conciliation possible avec la Genèse. Croyez-vous encore aux six jours, entendus littéralement, malgré Cuvier, que vous ne récuserez pas ? Faut-il vous rappeler comment les systèmes de Copernic et de Galilée, d’abord anathématisés, ont fini par faire très bon ménage avec l’Écriture ? Il en sera de même du système de Darwin et de tant d’autres, au moins dans leurs parties irréfutables. Un savant prêtre, l’abbé Frémont, a consacré ses conférences de cet hiver dans l’église Saint-Philippe à la démonstration de cette thèse, et il admet parfaitement que nous provenions d’un mollusque ou de tout autre ancêtre aussi peu distingué. La Genèse trace de grandes lignes, elle laisse toute liberté à la science pour le détail. Concédez-moi, enfin, que j’ai été presque aussi dur que vous pour le réalisme français, pour Stendhal et pour Flaubert. Quant à l’influence de Bouvard et Pécuchet, je n’exagère rien ; si vous viviez dans les milieux littéraires des « jeunes, » pour qui je suis déjà un barbon, vous verriez qu’on y sait ce bréviaire par cœur. Ma thèse est précisément qu’il faut remplacer ce réalisme-là par un autre. Votre comparaison finale entre l’invasion cosaque et l’invasion écossaise, entre l’influence de Tolstoï et celle de Walter Scott, m’est bien souvent venue à l’esprit, si l’on tient compte de ce fait, que les phénomènes littéraires ont aujourd’hui bien moins de relief qu’en 1820 et