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de plus de notre jeunesse, un des plus forts, qui se rompait. Il faut s’attrister, mais quelque énorme folie que fassent ses exploiteurs, quelque surprise que nous réserve cette mascarade, il ne faut pas injurier, il ne faut pas renier le génie qui nous a communiqué ces enthousiasmes dont notre amitié était réchauffée.

Je souhaite que nous nous retrouvions assez jeunes pour le relire encore ensemble, et je vous serre encore la main sur le vieux volume des Orientales.

A vous.


Paris, 26 mai 1886.

Mon cher ami,

Je suis un peu déçu de ne pas voir venir votre opinion sur ma préface. C’est la chose où j’ai mis le plus fort de ma pensée et je voudrais connaître la vôtre à ce sujet. Ici, je recueille l’impression que cet article a eu un grand pouvoir de pénétration, surtout dans la jeunesse. J’en ai le témoignage par des lettres de gens bien divers, des visites de jeunes gens et par des échos qui me reviennent de partout. Mais je voudrais savoir ce qu’on dit aux Angles. Le volume parait le 4 juin [1], il prendra aussitôt le rapide, et je réclame de mon juge un tour de faveur, que j’ai la fatuité de ne plus appeler de ce nom, tant une vieille amitié m’a habitué à considérer ce privilège comme une servitude due aux anciens souvenirs.

Retenu par mes travaux, je suis seul à Paris ; ma femme et mes enfants m’ont devancé en Ukraine ; j’ai embarqué la semaine dernière tout mon petit monde pour le voyage de 2 700 kilomètres, ce qui est un peu loin, à mon gré ; je ne pourrai les rejoindre qu’assez lard, en faisant un crochet par Agram pour rendre visite à Mgr Strossmayer. Le grand évêque a bien voulu m’engager depuis longtemps à aller voir sous ses auspices ce coin du monde slave que je ne connais pas encore.

Nous ne savons pas encore ce soir si nous les expulserons [2]. Le Conseil est divisé par cette pomme de discorde et les paris sont ouverts. C’est la politique chez la portière pour faire suite au roman chez la même. Je vous assure d’ailleurs que personne

  1. Le Roman russe, 1 vol. in-16 ; Plon.
  2. Il s’agit des Princes d’Orléans. Les Chambres votèrent la loi d’expulsion en juin 1886 : l’article 1er interdisait aux chefs des familles ayant régné sur la France et à leurs héritiers directs dans l’ordre de primogéniture de vivre sur le territoire de la République française.