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pornographiques, nos féeries abrutissantes, nos exhibitions de cafés-concerts. On joue avec la vie humaine, soit, mais personne ne réclame contre les courses de chevaux et il est bien certain que la proportion des jockeys fracassés dépasse celle des toreros meurtris ; en outre ce jeu a sa noblesse et mieux vaut encore montrer au peuple des gens qui risquent leur vie que des gens qui risquent des paradoxes empoisonnés ou des cuisses mal faites. Cela donne le goût du sang, peut-être, mais entre deux maux je préfère un peuple barbare à un peuple dépravé et énervé qui est mûr pour revenir à la barbarie. Bref, je ne pétitionnerai pas pour introduire chez nous les combats de taureaux, en attendant les gladiateurs ; mais si l’on me répondait qu’en les introduisant on supprimera du coup tout le bas théâtre, le méridional se joindrait chez moi à l’aficionado pour applaudir.

Et maintenant, je vais demain à Lourdes voir des scènes bien différentes, le génie et la passion populaires sous un autre aspect. J’apprendrai sans doute dans le seul milieu où elle fera impression la mort de ce pauvre martyr de Froshdorf. Souffrances inutiles et majestueuses comme tout ce qu’il a fait, mort intempestive, manquée comme tous les actes de sa vie. Le dernier des Bourbons mort de faim, ô ironie macabre ! et tirant des faisans dans son agonie ! Toujours ce terrible livre des chasses de Louis XVI durant les journées révolutionnaires. Jamais héros d’Eschyle ou de Sophocle n’a eu le sceau de la fatalité marqué à ce degré.

Ce pays est fort beau, pas éclatant et divin comme notre Midi, le vrai, le seul, mais un mélange gracieux et grandiose de Suisse et d’Océan. Une mer très noble, un peu bête, pas intelligente comme la Méditerranée, du moins des couleurs plus sobres, une végétation d’un cossu bourgeois qui n’est ni la parure magnifique des contrées tempérées, ni le haillon orgueilleux des pays brûlés. Un très beau temps chaud sans accablement, on marcherait soi-même tout le jour dans ces chemins entre les bruyères. J’ai déjà lu plus d’un bréviaire et compté pas mal de kilomètres sur la route nationale n° 10 de Paris à Irun. Inutile d’ajouter que je vous regrette et que je voudrais cheminer avec vous,

Come van ! fratti minori.

Cela me rendrait tout à fait l’illusion de ma jeunesse et je pourrais me croire encore sur la route nationale de Paris à Coni,