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comme s’il allait pleuvoir des ministères et des pairies. Ceci soit dit sans incriminer leur chef de file, il a fait très simplement ce qu’il devait faire ; il est parti hier soir avec Nemours et d’Alençon ; il est parti navré avec la persuasion qu’il ne rentrera pas dans cette France qu’il aime mieux habiter que gouverner. C’est probable. Le ministère et la Chambre sont déjà affolés, prêts à fulminer des décrets d’exil au moindre acte, au moindre mot suspects. Mais y aura-t-il un acte, un mot ? Voilà ce que tout le monde se demande avec une curiosité anxieuse, avec le sentiment qu’une dernière chance de relèvement va être offerte au pays, pendant les quinze jours d’émotion qui suivent les grandes morts. Les légitimistes sont absolument corrects ; très tristes, mais résignés, ils traitent d’ores et déjà le Comte de Paris comme le Roi ; les chefs sont venus lui dire hier : « Ordonnez, nous ferons tout ce que vous commanderez. » Mais que commandera-t-il ? Rien, j’imagine. Je constate que tout le monde perd déjà la tête, même les plus fortes têtes. Chacun propose un plan, blâme et discute d’avance ce qu’on fera et ce qu’on ne fera pas. Les Nestors répètent en chœur : « Surtout, de la prudence, il n’y a rien à faire pour le moment, il faut laisser la République s’user, » et c’est la France qui s’use.

Inutile d’ajouter que sur dix personnes neuf parlent déjà d’Henri comme s’il était enterré depuis trois mois, et que, sauf quelques fervents, tous les regards sont fixés sur celui qui succède, qui va être le pivot de tant d’intérêts. Notre misérable siècle est incapable de se recueillir pour admirer, indépendamment de toute opinion politique, ce drame merveilleux, pour écouter passer le dernier soupir du vieux monde et de la vieille histoire de France. Dans quelques heures, à Froshdorf, la dernière épopée finira, on clouera dans un cercueil le drapeau blanc, la tradition de mille ans, le trône très chrétien, le trône de saint Louis et de Louis le Grand. Et nous n’avons plus un Bossuet ni un Chateaubriand pour dire ce qu’il faudra dire sur cette tombe ! Nous n’avons même plus un poète pour graver l’épitaphe ! Quand j’étais très jeune et que je me croyais poète, — ce qui est peut-être un pléonasme, — je rêvais souvent, je m’en souviens, à la pièce de vers qu’il faudrait faire le jour où le Comte de Chambord mourrait. Je ne suis plus jeune et je me contenterai d’écouter le Dies irae. Au lieu d’un discours de Bossuet, le mort aura un article d’Ignotus, avant le courrier des théâtres...