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m’accommoderais fort bien, par exemple, d’Arabi-Bey qui parait savoir son métier, avoir lu l’histoire de Méhémet-Ali et qui est plein de sentences.

En attendant, je parle des choses du monde par ouï-dire, car durant les quinze premiers jours que j’ai passés dans cette solitude, je n’ai pas reçu un journal, — par hygiène intellectuelle, — et Robinson Crusoé était un mondain, un boulevardier en comparaison de moi. N’était le large fossé où gisent déjà tant d’années, comme des soldats fauchés par le boulet, je pourrais me croire reporté à Gourdan dans la bibliothèque carrelée où moisissaient les larges tranches des volumes de d’Hozier... Comme alors mes journées sont partagées entre de vastes lectures, de petites écritures et des courses dans les bois, un fusil sur le dos. Hélas ! je ne vous espère plus à l’automne ; mais que de choses je n’espère plus qui me semblaient alors prochaines, dorées et faciles ! La liquidation des rêves est faite par devant Maître Temps en son étude sise en tous lieux, la banqueroute est déclarée et frauduleuse encore ! A mes fils de reprendre mon fonds pour arriver à la même déconfiture. Puissent-ils ne pas vivre aussi vite que moi et ne pas savoir aussitôt ce qui se cache sous là « solennité des escaliers » et que c’est partout comme dit élégamment cet autre, « Cochon et Compagnie ! » , A ce propos, je suis pleinement de l’avis du jeune Brunetière... ‘

Pour bien me rendre compte de ce qu’il y a et de ce qu’il n’y a pas dans Pot-Bouille, j’ai repris en l’achevant le plus immoral des livres d’une autre école, à coup sûr, la Chartreuse de Parme. Je doute qu’on puisse miner plus savamment le sens moral d’un jeune esprit que ne le fait Stendhal. Mais quel art, quel esprit endiablé, quelle phrase française, leste et légère comme la batterie d’un petit tambour au Pont d’Arcole ! Notez bien que cet analyste, qu’ils osent réclamer comme un ancêtre, n’étudie que le cœur et les caractères ; il les développe dans leurs moindres fibres, savamment, curieusement ; quand il tient une âme, il ne la lâche plus, il lui fait rendre tout ce qu’elle a de vie, de logique et de contradictions. Il a été observer dans le fin fond et le diable n’y perd rien. Zola, lui, se contente de placer le matin dans les muscles de ses brutes. Je ne vois dans l’immeuble de M. Gourd que des étalons et des pouliches en liberté ; je n’y vois ni un homme ni une femme. Je sais qu’en tirant telle ficelle, les mannequins feront tel mouvement ; il n’y a pas là