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qui devra porter ses fruits. » L’apprivoisement, voilà l’autre grand mot que nous avons de la cité et qui complète le mot confiance ; celui-là explique celui-ci.

Au cas où ces éternels indépendants resteraient intransigeants et farouches, le général Laperrine a d’autres cordes à son arc. Mais il ne les tend et ne les fait vibrer qu’après avoir essayé de l’apprivoisement. Le chef de nomades Brahim ag Abakada joue au plus fin avec lui ; il s’annonce à In-Salah, mais il ne vient pas. Le général va entreprendre contre lui « une campagne pacifique qui deviendra au besoin une offensive vigoureuse. » Quand le fauve est dompté, et qu’il consent à palabrer, on lui tend non plus le poing, mais la main largement ouverte. « Pour qu’un chef se soumette, il faut lui conserver la bande sur laquelle repose sa force, et qu’il vaut mieux avoir avec nous que contre nous. » Aussi, Brahim ag Abakada est-il nommé incontinent Am’rar des Azgueurs du Tassili. Nous aurons désormais à nos côtés un autre Moussa ag Amastane. Quant aux férus d’orgueil et d’indépendance, aux ennemis déloyaux, traîtres et féroces, ceux-là n’ont à escompter nulle faiblesse du général. « Si la nécessité se fait sentir, on frappera dur à titre d’exemple. »

Quand les indigènes seront sûrs qu’ils n’échapperont ni aux représailles ni au châtiment, quand ils auront l’impression que notre force, même invisible, reste pourtant présente, ils solliciteront l’aman, ils deviendront nos auxiliaires, sinon nos propres soldats. Ils considéreront comme un honneur de recevoir la gandoura blanche de grande tenue, la belle ceinture rouge, et la carabine à répétition. Français par l’apparence extérieure, ils s’efforceront de hausser leur âme au niveau de l’âme des Français. Quand le général les lancera à la poursuite de leurs frères d’hier, pillards insatiables et impitoyables, ils fonceront sur eux sans une hésitation, sans un remords, à la suite de ce Français généreux qui, l’ennemi défait, se rendant à merci, déclare aux vieillards, aux femmes et aux enfants affolés à son arrivée dans leur campement : « Les Français ne font la guerre qu’aux combattants. »

Cette générosité, qui les surprend, les rallie ; ils s’offrent à devenir de loyaux alliés. Quand le général en a usé à plusieurs reprises, quand on est certain que c’est le fond de son âme, on se familiarise, on se donne à lui, il devient l’ami, on l’aime