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pas impunément des mois, des années, l’hôte du désert. Tôt ou tard, il prend barre sur vous, annihile le bon officier, le fonctionnaire timoré, désarçonne son souci des responsabilités. » Il est lui-même « l’hôte du désert : » le désert ne l’a pas désarçonné ; pourquoi désarçonnerait-il les officiers subalternes ? Les responsabilités, le général ne cherche pas à les esquiver ; il aime à les multiplier et à les revendiquer ; il juge, il mesure les autres à sa taille ; il croit en eux. « Quand on a acquis son estime, il s’attache beaucoup à vous, et vous accorde confiance et amitié. » Il lui suffira donc d’agir sur ses officiers par des conseils, par des « directives » , et éventuellement, par des félicitations ou des reproches ; il se comporte avec eux comme un père. Il est aussi pour eux une manière de frère aîné. A-t-il vu s’élever entre eux un conflit ? Il leur demande d’exposer leurs doléances ; il sait que « le climat aidant, » les querelles s’enveniment ; il procède à une mise au point ; il prononce sa sentence ; on s’incline, car on sait qu’il n’aime pas les « ergoteurs. » S’il s’aperçoit qu’il n’a pas été écouté ou obéi, il donne des ordres fermes ; si la résistance est ouverte et obstinée, il sévit. Un de ses officiers, des plus remarquables pourtant, désapprouvait les mesures qu’il préconisait à la suite de sa prise de commandement en février 1917 ; il n’hésita pas à se séparer de lui. Il veut être, avec tous ceux qui, avec lui, servent la France, « en parfaite communion de pensée. » Mais malheur à qui ne sympathise pas avec lui, de tout son cerveau et de tout son cœur, à celui qui ne se montre pas le collaborateur éclairé, actif, prêt à tous les sacrifices. « Il retirait souvent sa confiance à certains de ses subordonnés et il était à peu près impossible de la reconquérir. »

Mais, pour aller aussi loin, il faut que les motifs soient très graves. La rigueur n’est point son fait habituel. Il est compréhensif, indulgent, tolérant. « J’avais proposé en 1916 de prendre comme observateurs-guides pour les avions des guides sahariens connaissant les moindres collines, dont on avait éduqué l’œil à voir de haut. En cas de panne sans accident, ils auraient pu conduire au puits le plus proche, indiquer les chances que l’on avait. » Aussitôt, les officiers de l’escadrille s’indignent : on court le risque d’être assassiné par les guides ; le prestige européen se perdra. Le général ne s’attendait pas à pareil toile. Il bat en retraite en souriant. « Leurs raisons me parurent enfantines,