Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

turcs et allemands entretenaient un feu qui eût peut-être fini par s’éteindre. Il importait de rester sur ses gardes : c’est à cette nécessité que répondit l’organisation de la compagnie saharienne d’Ouargla, prévue depuis 1914, pour décharger la compagnie du Tidikelt, qui avait dû, en mars 1915, poursuivre les pillards des campements hoggars sur plus de 600 kilomètres et accomplir une randonnée de plus de 1 500 pour venir remplacer dans l’Est le détachement de Fort-Motylinski dont la présence à son poste était réclamée et s’imposait d’urgence.

L’année 1916 réservait à nos Sahariens des assauts incessants, des privations cruelles, des défections qui eussent pu devenir inquiétantes parmi les Touareg enrôlés dans les compagnies, si elles étaient devenues plus nombreuses. La propagande senoussiste, en suscitant au sein des tribus soumises des traîtres qui se berçaient de l’espoir d’échapper à notre châtiment, ébranlait l’élément indigène de nos compagnies sahariennes. En mettant à part le fanatisme musulman, auquel on fait appel avec tant de chances de l’exaspérer, les causes de mécontentement frappaient les plus clairvoyants parmi nos gradés. « Le moral, jusqu’à 1915, était très élevé, avec un esprit de corps qu’on ne rencontre guère que dans les troupes coloniales. A partit de cette date, il était descendu très bas. A mon avis, en voici les raisons... La débâcle italienne en Tripolitaine avait procuré des armes modernes aux bandes ennemies, voire même des canons de 70 millimètres à tir rapide. L’ennemi, se voyant bien armé, et conduit quelquefois par des chefs expérimentés qui avaient coopéré à la guerre italo-turque, attaquait d’une façon continue nos détachements ; cela n’arrivait jamais auparavant. » De plus, « il existait en Tripolitaine des agents allemands qui instruisaient les rebelles avant de les lancer contre nous. » Les causes intérieures de dépression matérielle ne manquaient pas. Le recrutement des volontaires avait fait défaut dans le cadre français ; ces vaillants, ces téméraires, dans leurs nuits d’Afrique, avaient rêvé des nuits européennes où l’on risquait à ce moment et la mort et la gloire. « Le commandement fut obligé de s’adresser à des jeunes gradés sans expérience qui, de plus, la plupart du temps, ne connaissaient pas la langue arabe ; or, la connaissance de l’arabe est indispensable pour un chef de détachement ; il faut qu’il puisse causer avec ses hommes pour obtenir les renseignements nécessaires à la sécurité et à la