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des troupes du Sahara et des troupes du Soudan. En 1903, une telle proposition frisait l’impertinence ; elle était attentatoire aux principes administratifs les plus sacrés ; nos administrations métropolitaines s’ignorent, se claquemurent farouchement dans leurs attributions et dans leurs prérogatives et veillent jalousement à ce que reste absolue l’étanchéité des cloisons qui les séparent. Pourquoi nos colonies africaines se seraient-elles comportées autrement ? Elles modelaient leurs traits sur le visage auguste de la mère-patrie.

Le commandant Laperrine, ce paladin, tenta de rompre en visière à toutes les traditions, à toutes les routines, à toutes les hérésies dont la France saharienne souffrait, dont elle aurait pu mourir. En mars 1904, il se mit en route pour accomplir une tournée d’inspection dans le Sud de l’annexe du Tidikelt, afin d’aller s’assurer par lui-même de la sincérité et de l’étendue des soumissions des tribus touareg. C’est du moins ce qu’il avait déclaré ; et, comme pour confirmer ses déclarations, le R. P. de Foucauld, cet autre grand Saharien avec qui il entretenait depuis longtemps des relations très cordiales, se joignit à l’expédition pour compléter sur place ses connaissances dans la langue tomaheg et installer au Hoggar une infirmerie auxiliaire ; et l’Observatoire d’Alger avait délégué un de ses fonctionnaires, M. Villate. Le but de l’expédition semblait donc précis et nettement délimité. En réalité, le commandant Laperrine « avait l’intention de se rendre à Tombouctou pour s’y rencontrer avec le lieutenant-colonel commandant le premier territoire de l’Afrique occidentale française, et couper court ainsi aux bruits tendancieux qui représentaient les Français du Soudan et ceux de l’Algérie comme des frères ennemis en hostilité ouverte. » L’excellent commandant eût voulu voir ces frères se jeter dans les bras les uns des autres et ne desserrer l’étreinte qu’au moment où serait acquise la certitude que leur union durerait éternellement. Mais il avait compté sans son hôte, et le baiser ne fut même pas un baiser Lamourette.

A Timiaiouin, la reconnaissance dirigée par le commandant Laperrine se heurta à un détachement de Soudanais. Au moment où, sans doute, le commandant ouvrait ses bras, le capitaine, la main tendue à distance, lui présenta le texte des ordres que lui avait donnés le lieutenant-colonel du premier territoire soudanais : l’entrée de l’Adrar était interdite aux détachements