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par cette atmosphère d’affection, — affection chez les étudiants dont j’ai aimé en retour l’optimisme et la probité intellectuelle ; affection chez mes collègues dont la confiance, la bienveillance et la hauteur de vues resteront à jamais pour moi la preuve de ce qu’il peut y avoir de noble et de généreux chez les meilleurs des Américains.

C’est ici qu’il faut chercher nos vrais amis. Quelques appréhensions que la politique étrangère des Etats-Unis puisse mettre au cœur des Français, un peu déçus de voir en apparence délaissée cette amitié qu’ils avaient si spontanément offerte, nous ne devons pas désespérer des sentiments de l’Amérique à notre égard. Tous ceux qui pensent dans ce pays sont pour nous. Républicains aussi bien que démocrates me disent leur douleur, leur honte, de voir que des querelles politiques puissent ainsi dénaturer leur attachement pour la France. Je sais que ce ne sont pas simples formules de politesse. Ils admirent sincèrement notre pays pour son passé de grâce, d’intelligence et de beauté, pour son présent de courage, d’endurance et de force morale. Rien ne pourra aller là-contre.

Il est vrai que le milieu où je viens de vivre est assez particulier. Il est très différent de cette Amérique banale que l’on a tant de fois dépeinte avec des couleurs un peu crues. C’est une Amérique infiniment plus complexe et où il est possible de découvrir vraiment toutes les forces qui tiraillent en sens divers ce grand pays si actif et si mouvant. Ici deux mondes coexistent. L’un est le monde de l’industrie forcenée, des affaires fiévreuses, de la recherche ardente de l’argent, des outrances et des gigantesques bondissements. Il se livre à ses agitations dans cette ville grandissante, avec sa population ouvrière, mélange bigarré de races, avec ses foules qui s’écoulent en flots épais aux heures où les usines dégorgent leurs multitudes, avec ses hauts fourneaux qui brouillent et salissent un paysage qui dut être autrefois si mélancoliquement paisible. Je vois le despotisme de ce monde, et j’en saisis l’esprit, dans cette pression qu’il exerce constamment sur l’Université, quand il demande à celle-ci de lui fournir les moyens de créer plus de richesse. L’autre est un monde plus raffiné. Il se groupe autour de Yale comme autour d’un clocher, car il croit en l’intelligence. Il comprend tous ceux qui s’enorgueillissent de mettre leur idéal en la culture et voudraient pour leur pays une civilisation plus hautement