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opposés à la co-éducation, les élèves donnent des bals, — sous la surveillance maternelle de chaperons, — où l’on invite les élèves du collège de garçons voisin. Le moyen de danser sans cela ? L’amitié entre homme et femme, avant le mariage et indépendamment de toute idée de mariage, est fréquente. Et ces amitiés se nouent de bonne heure. Je me souviens d’avoir lu dans un journal du middle-west une lettre bien curieuse. Une jeune fille, — une enfant plutôt, car elle n’avait pas quinze ans, — écrivait à un rédacteur chargé d’une enquête, pour lui expliquer ses sentiments : « Je vous soumets mon cas, disait-elle, en vous priant de me donner un avis. Je suis de caractère sombre, et j’aime la solitude. Mes compagnes à l’école se moquent de moi ; mais que voulez-vous ? je ne puis pas faire comme elles, avoir un ami. Tous les garçons que je rencontre me sont indifférents ; je n’en trouve aucun que j’aie plaisir à fréquenter. Leur conversation m’ennuie. J’aime mieux lire. Ma mère me gronde parce que je ne suis pas comme tout le monde. Ai-je tort ? »

Un ami est donc pour la jeune fille, même de quinze ans, un complément accepté par l’opinion publique, que dis-je, dans certains cas, ou dans certains milieux, un complément recommandé. Et la lettre ci-dessus indique bien que c’est ami qu’il faut entendra et pas autre chose. Se mêle-t-il pourtant un soupçon de sentimentalité à ces innocentes fréquentations ? Cela ne doit pas être impossible. « L’amitié peut subsister entre des gens de différents sexes, exempte même de toute grossièreté. Une femme cependant regarde toujours un homme comme un homme, et réciproquement un homme regarde une femme comme une femme, » a dit La Bruyère, et j’hésite à croire qu’il ait tort. En tout cas, l’ami n’est pas un fiancé. L’ami ou le « beau, » comme on l’appelle, est le jeune homme de manières agréables et assez bien élevé pour qu’on n’ait rien à redouter de lui. C’est un chaperon masculin. S’il est riche, il est généreux et comble son amie de gâteries : il paie ses voitures, lui offre des ice-creams ; il l’emmène au théâtre, au cinématographe ou au restaurant ; de temps à autre, il lui fait des cadeaux. Le fiancé est un « beau » qui a des chances d’être un jour le mari. Aux yeux de la foule il n’y a pas de différence notable. Le fiancé joue auprès de la jeune fille élue le même rôle de cavalier servant et généreux. Parlant, une jeune fille, — si elle a plusieurs