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à l’écart du sanctuaire. Et la voilà qui prend sa revanche, envahit le Campus et dissipe l’austérité du lieu par le charme de sa mutine personne ! C’est en vain que le prom s’ouvre officiellement par un service religieux. Est-ce suffisant pour se protéger contre les tentations de l’Eve éternelle ?

Disons tout de suite que l’étudiant américain, autant qu’il est possible de parler avec certitude de choses qui touchent au plus intime de l’être, est dans son attitude à l’égard de la femme d’une discrétion remarquable. Sans doute il est homme et comme tel faillible. L’adolescent qui arrive à l’Université à l’âge de dix-huit ans, jouissant d’une grande liberté, peut être tenté d’abuser de cette liberté. Les dangers ne manquent pas, d’ailleurs, dans une grande ville comme New Haven. Il y a les « veuves de collège » , — College widows, — éternelles fiancées dont la vertu peu fastidieuse se répare à neuf tous les ans, à la rentrée. La chronique scandaleuse raconte même des histoires à faire frémir : alcool et brutalité en pourraient être le titre. Mais il faut faire la part de l’exagération. Il est, par ailleurs, certain que les étudiants se montrent très sévères pour ceux de leurs camarades qui ont une conduite répréhensible. Que l’un d’eux soit mêlé à un scandale, qu’il s’affiche seulement avec quelque fille de mauvaises mœurs, et il se verra impitoyablement fermer toutes les fraternités ; les amitiés se refroidiront ; le vide se fera autour de lui ; il n’aura plus qu’à quitter l’Université. Même en tenant compte du pharisaïsme qui, sans doute, est considérable, une pareille sévérité ne serait évidemment pas possible, si la majorité n’avait le droit de se montrer inflexible pour les frères plus faibles.

Au surplus, les relations entre sexes, en Amérique, sont très Différentes de ce qu’elles sont en Europe. Autre pays, autres mœurs. Le jeune homme et la jeune fille sont habitués à vivre côte à côte, dès leur plus tendre enfance. A cette camaraderie de tous les instants s’évapore ce charme fait de mystère et de rêverie dont se réclament les désirs. Et comme, d’autre part, avec sa liberté d’allures et sa volonté de ne compter que sur elle-même, la femme américaine, dans tous les actes de la vie ordinaire, ne se distingue guère de l’homme, l’égalité s’établit tout naturellement entre les deux sexes. Les rapports entre jeune homme et jeune fille sont directs, ouverts, exempts de timidité ou de réserve. Dans les collèges féminins les plus