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d’un cours à l’autre, fouettés par le vent qui fait rosir leur visage, et leurs snowboots, dégrafés, bringueballent et sonnent comme des piécettes que l’on compte. Moi aussi, je poursuis mes travaux, et je sens chaque jour se river un peu plus fortement la chaîne cordiale qui m’unit à tous ces jeunes gens, si naturels et si probes. Car il est difficile de ne pas s’empêtrer dans l’écheveau compliqué de tous les liens qui se forment autour de vous sans que vous y preniez garde.

Si douce a été ma vie que j’ai l’impression d’être arrivé hier. Pourtant déjà approche la fin du premier semestre avec lequel ma mission va, elle aussi, se terminer. Et j’ai bientôt la révélation soudaine de cette irrévocable fuite des jours, lorsque j’entends répéter de tous côtés : « Le prom va avoir lieu ! » Le prom, — du mot français : promenade, — est la fête des juniors et on la célèbre au milieu de l’année scolaire, vers le mois de février. Si le mot est français, la chose est américaine. Pendant quatre jours les étudiants ne vont pas cesser de se livrer à leur divertissement favori : la danse. Et comme à ce jeu il faut être deux, l’on invite des jeunes filles. Dès le samedi, bien que les cérémonies ne doivent commencer officiellement que le lundi, on voit affluer à New Haven, dûment accompagnées d’un chaperon, des beautés venues de tous les Etats voisins. Il n’est pas au demeurant nécessaire que des serments aient été préalablement échangés entre l’inviteur et l’invitée. S’il y a, dans le nombre des étrangères, pas mal de fiancées, il y a aussi beaucoup de simples amies, des sœurs, des amies des sœurs et des sœurs d’amies. L’essentiel est que chaque étudiant du prom ait sa danseuse, aussi jolie que possible, et dont il se fera le cavalier servant, tant que dureront les fêtes.

Pour bien traiter les visiteuses, rien ne sera trop beau. Les plus riches gaspilleront de petites fortunes, car l’adoration de la femme est ici entière. Les chambres, dans les dormitories et les fraternités, sont évacuées non sans avoir été auparavant transformées en un petit nid pour la délicate idole. Des dais bien clos sont dressés à l’entrée des différents bâtiments pour éviter aux pieds mignons les souillures de la neige ou aux visages les rudesses de la bise. Des concerts par le Glee Club, des représentations par la société dramatique sont offerts pour que pas une minute ne puisse apporter une occasion d’ennui aux jolies invitées. Et jolies elles le sont, assurément, quand,