Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui entraîne des devoirs auxquels on ne cherche pas à se soustraire. On en a eu la preuve l’an passé, quand les anciens élèves ont réuni en quelques semaines les quinze cent mille francs nécessaires pour combler le déficit dans le budget de l’Université. Toutes ces sociétés, si différentes d’objet, que l’on accuse parfois de favoriser le particularisme et qui sembleraient devoir morceler en groupes innombrables les milliers d’étudiants qui passent chaque année à Yale, concourent en réalité au même but : faire aimer la petite communauté dont elles sont un des rouages. Chacun de ces groupes a sa vie propre, mais à la manière des planètes qui gravitent vers un même astre dont elles forment le système harmonieux. De l’intimité d’une fraternité comme Skull and Bones au grand enthousiasme collectif qui éclate à l’occasion d’un match intercollégial, il n’y a d’autre différence que celle qui sépare la partie du tout. Et l’une explique l’autre.


FÊTES ET DIVERTISSEMENTS. — LE « PROM »

Dans ce milieu cordial et plein d’activité, le temps s’est écoulé rapide. L’Indian Summer n’est plus qu’un souvenir. Un jour, avec cette brusquerie que les éléments ont volontiers dans ce pays, une atmosphère gris-de-plomb a envahi le ciel, figeant une lumière vague et crépusculaire. Le lendemain, au réveil, New Haven était transformé en un monde nouveau. Depuis, — c’était en décembre, — la neige ne nous a pas quittés. Elle a durci par des températures de — 25 degrés, et elle semble s’installer à demeure. Les automobiles, qui mettaient dans l’air un si joyeux bourdonnement, se sont faits rares. Pour éviter les dérapages, ceux qui s’aventurent au dehors ont armé leur roue arrière d’une grosse chaîne qui s’agrippe à la glace. Quand ils fuient devant vous dans un bruit de ferraille, on dirait quelque monstrueux animal qui aurait rompu son attache. Des traîneaux, attelés de chevaux aux claires sonnettes carillonnantes, froissent la neige avec le crissement d’une soie que l’on caresse. Marcher sur le sentier glissant frayé entre deux murs de neige durcie est devenu un exercice d’acrobatie pour les piétons qui se hâtent vers leurs affaires.

La vie n’a pas pour cela perdu de son intensité sur le Campus. Engoncés dans leurs fourrures, les étudiants passent