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fumeur, vous bourrez votre pipe et c’est aussitôt la conversation, au hasard des voisinages. Le tout jeune homme y apprend à goûter la sagesse de ses aînés et le professeur blasé se retrempe dans ces âmes fraîches. Parfois l’on a un invité de marque, un écrivain que l’on a prié de venir parler au club. Celui-là a droit à l’unique chambre de la maison. On s’attend d’ailleurs à ce que sa conférence soit dépourvue de tout apparat. Je me rappelle avoir entendu dans l’intime salle du rez-de-chaussée un auteur anglais, dont une pièce cette année a fait courir tout New-York, raconter ses souvenirs de jeunesse. Assis sur le coin d’une table, les jambes ballantes, la pipe aux dents, il plaçait ses phrases entre deux bouffées. Et quand il eut fini, dans le brouhaha d’une collation, ce fut la conversation familière, prolongeant la causerie et s’en distinguant à peine.

Mais la merveille de l’Elizabethan Club est son grand coffre-fort. C’est une idée de l’excellent bibliothécaire de Yale, qui est bien de tous les bibliothécaires, qu’il m’a été donné de connaître, le plus obligeant et le plus fin. La maison étant en bois et la surveillance difficile, il a fallu songer à mettre en sûreté les trésors bibliographiques du club. On a alors fait bâtir une pièce toute en fer, à laquelle donne accès une massive porte aux épaisses lames d’acier, capables de défier les voleurs, le feu et le temps. Deux hommes sont seuls à connaître le secret de la serrure : le bibliothécaire et son adjoint. Cette chambre ne s’ouvre qu’aux grandes occasions et quand la porte, manœuvrée par une énorme roue d’acier, se meut silencieusement sur ses gonds et qu’une lampe électrique s’allume automatiquement, faisant apparaître dans leurs robes luxueuses de maroquin tous ces trésors de la littérature anglaise, comment ne pas ressentir un petit frisson de plaisir, — du moins quand, on a en soi l’âme sensible d’un collectionneur ? Et quel curieux rapprochement des procédés mécaniques les plus modernes et de ces témoins d’une civilisation lointaine à laquelle on veut se rattacher par toute sorte d’illusions ! L’Elizabethan Club ne serait-il pas le symbole parlant de cet entremêlement inextricablement confus du présent et du passé que je retrouve ici à tout instant ?

Bien que le nombre des membres y soit limité, l’Elizabethan Club est une société ouverte ; il y a aussi des sociétés secrètes. Ainsi que leur nom l’indique, elles s’entourent volontiers de